Early access : quand l’impatience se monnaie à prix d’or

Entrons dans un monde où derrière un monticule de terre et un panneau « en chantier » certains voient un gigantesque gratte-ciel. Où alpha et bêta sont les premières lettres de l’alphabet du joueur, et où les promesses sont parfois tenues, mais n’engagent décidément que ceux qui les écoutent. Bienvenue dans le monde de l’early access, des préversions qui n’en finissent pas et autres joyeusetés.

Il fut un temps où les jeux se développaient sous le regard bienveillant des éditeurs. Chaque titre finement ciselé déroulait un code d’une rigueur inattaquable, les dates de sortie se respectaient et toute une équipe s’assurait que le résultat serait à la hauteur des attentes des joueurs… On a rêvé ?

Certes la réalité de cette industrie n’avait rien de cette description rose bonbon, mais de manière assumée le joueur était exclu du processus créatif. Puis, lors de la décennie précédente, l’envie se fit sentir de vendre un jeu en cours de développement pour dégager quelques subsides en attendant la version 1.0 (Mount & Blade en fut un bel exemple). L’idée d’une société capable de financer des projets fut une suite logique ; Kickstarter est né en 2009, rattrapé par Indigogo et quelques autres.

Le sujet du crowdfunding est vaste, aussi excuserez- vous les ellipses, mais à l’instar de Gabe Newell le patron de Valve et Steam, quand on a une idée en tête, on ne la lâche plus. Aussi, pour revenir à nos moutons, lorsque ce dernier sentit l’air du temps et constata que l’argent du financement participatif lui échappait, il s’exclama dans son bain « bon sang, mais c’est bien sûr, je vais créer une section early access ». La citation est sans doute apocryphe, mais le décor est planté.

Star Citizen profite du financement participatif. La campagne Kickstarter finie, Chris Robert a continué à collecter les fonds via sa société et atteint aujourd’hui plus de 180 millions de dollars.

Early access to the early adopters, so cool !

Alors déjà nous écrirons désormais accès anticipé afin de respecter la langue de Maitre Gims. Ensuite, plaçons-nous du côté des développeurs indépendants et observons le marché actuel. Les plateformes de financement participatif contournent la nécessité de faire appel à un éditeur. Les marchés d’applications sont la voie royale pour se passer d’un distributeur. Enfin, l’industrie du jeu vidéo est peuplée d’individus tellement rongés par l’impatience qu’ils paieraient volontiers pour jouer à un titre non fini. C’est ainsi que Gabe a transformé les jeux alpha en potentielle mine d’or.

L’idée est louable. Si un brave gars tient un concept, commence à compiler des lignes de codes et présente le résultat provisoire à une communauté qui a le droit de mettre la main au portefeuille pour en faire l’acquisition, alors on entre dans un cercle vertueux. Le joueur devient bêta testeur et attaché de presse en diffusant la bonne parole autour de lui. Les sous rentrent, l’équipe de développement à des retours de la communauté et peut équilibrer son jeu tout en le finissant. Tout va bien dans le meilleur des mondes.

Tous ensemble, tous ensemble, oui !

Darkest Dungeon et Subnautica sont les accès anticipés dont s’est fendu votre serviteur. Aucun regret, plus de 150 heures passées dessus, et peu de risques, car les bêtas étaient convaincantes.

Le développement indépendant se voit sous un jour nouveau, le lien créé avec la communauté nous a ainsi offert d’excellents titres. On ne cache pas notre amour inconditionnel pour Darkest Dungeon, mais nous aurions pu tout aussi bien citer Invisible Inc, Dungeon Of The Endless, Prison Architect ou plus récemment l’incontournable Subnautica. N’oublions pas l’élément zéro, celui qui fut là avant quasiment tous les autres : Minecraft.

La section Accès anticipé de Steam est pleine de belles promesses et de jeux semblant déjà sortis tant ils sont déjà relayés par la presse et décortiqués par les joueurs. On pense notamment à Slay The Spire, Dead Cells, Quake Champions, Deep Rock Galactic (…). Le développement est désormais une affaire publique, supportée ou sanctionnée par tout un chacun. Les titres engrangent parfois des millions de dollars avant d’arriver à une version finie qui devient un fait d’actualité à peine plus important qu’une mise à jour (PUBG, si tu nous regardes !).
Des promesses faites sur le sable

Le salon de l’E3 et autres kermesses vidéoludiques sont saturés de déclarations d’intention, sans doute pleines de bonnes volontés, mais pas toujours suivis des faits. Nombreux sont les développeurs à s’en être inspiré dans la section Accès anticipé de Steam.

En effet, comment apporter la contradiction à un « mon jeu est aussi moche que vide, mais c’est normal, c’est de l’alpha. Aidez-moi à le rendre meilleur ». Ce qui peut déboucher sur des expériences plutôt basées sur la redondance et la pénibilité des mises à jour que sur le gameplay ^^

Sur ce postulat, certains ont livré des versions 1.0 en demandant à la communauté de modders de finir le boulot à leur place (SpaceBase DF9). D’autres ont stoppé le développement sans raison apparente et sans rendre l’argent (Cube World). Certains projets ont carrément viré à l’arnaque comme The Stomping Land qui après avoir récolté 114 000 € sur Kickstarter et présenté un accès anticipé sur Steam n’est jamais arrivé à son terme et a fini par être éjecté de la plateforme. Côté joueur, pas simple donc de savoir si la version finale sera proche de la bouse, buggée, jamais terminée, plein de DLC, etc.

H1Z1 a connu son heure de gloire mais sort de l’accès anticipé face à PUBG et Fortnite. Les joueurs se sont affrontés sur un jeu non fini et tournent le dos, à juste titre, à la version 1.0.

Un système potentiellement vertueux d’un point vue créatif finalement détourné pour être vicieux d’un point de vue commercial ? L’affirmation serait sans doute caricaturale ; quoique…
Aussi il est important de savoir dans quoi on s’engage avant de se lancer dans le financement d’un accès anticipé. Achèteriez-vous une de nos configurations faites avec amour sur la simple promesse d’un « vous allez voir, elle va dépoter » mais sans avoir vu la fiche descriptive ? Prenez le temps d’y penser, comme dirait Bruce.