Rétro-gaming : retour sur un phénomène

Par Caroline L., chef produit chez Materiel.net, fan de séries US, de BD et de fondants au chocolat. Pas de défaut officiellement répertorié jusqu’à l’arrivée d’Orcaline, son avatar sous WoW, qui a fini par révéler une tendance à faire preuve de mauvaise foi (un peu) et à râler (beaucoup).

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Cela n’a pas pu vous échapper : entre deux sujets sur Battlefield 1 ou Gears of War 4, des mots quasi anachroniques mais surgis d’un passé pas si lointain, reviennent hanter les conversations entre joueurs. Street Fighter. Super Mario Bros. Ghost’n’Goblins. Zelda. Sonic. Ce que certains jugeaient comme anecdotique il y a encore peu se confirme comme étant beaucoup plus proche d’une lame de fond que d’un épiphénomène. Sans complexe, le rétro-gaming s’est aujourd’hui refait une place dans notre salon, à la télé, dans les magasins… comme un pied de nez à la puissance toujours croissante de nos équipements Mais comment, et surtout pourquoi ?

Sur le papier (virtuel), le jeu sur pc et console ne s’est jamais aussi bien porté, grâce à des réalisations aux graphismes époustouflants qui nécessitent des bêtes de courses pour dévoiler leur plein potentiel : les mots les plus tendance sont d’ailleurs VR et 4K. Cette tendance a aussi envahi tablettes et smartphones (et je ne parle pas de Candy Crush, mais au plaisir visuel que procurent Atomic Super Lander, Deus Ex Go et tant d’autres encore). Alors, pourquoi nourrir notre œil – abreuvé jusqu’ici de réalisations vidéo-ludiques à l’esthétique poussée – de pixels qui s’étalent paresseusement sur l’écran (ou qui le parcourent de manière quasi schizophrénique) ?

Un bon vieux jeu d’aventure qui sent les sneakers, ça vous dit ?

Si vous aussi succombez à cette envie, c’est que vous faites certainement partie d’une de ces catégories qu’on affectionne particulièrement chez Materiel.net :

– les trentenaires nostalgeek. Alors oui, quand on dit trentenaires on est sympa et on englobe les quarantenaires par la même occasion… Avoir été biberonné avec les pixels – si possible enfant ou adolescent – reste le meilleur moyen d’apprécier la poésie des jeux rétro. Car l’œil habitué voit au-delà de l’apparence « rustique », et sait apprécier le vent de « liberté » artistique que symbolisent les jeux rétro.

– les passionnés des années 80-90. Anciens joueurs ou non, ce sont avant tout des collectionneurs, des bricoleurs, de ceux qui aiment mettre les mains dans le cambouis. Leur arme de prédilection ? Le fer à souder. Pour eux, le rétrogaming n’est pas rétro, il n’a juste jamais fait partie du passé… Les chanceux ont pu récupérer les cartons de leur jeunesse pour commencer leur collection (je dis « chanceux », car il faut posséder pour ceci un atout indispensable : un parent qui ne jette pas les « cochonneries » une fois que son enfant a dépassé le stade de la puberté). Le terrain de chasse de ces dénicheurs de bonnes affaires? Brocantes, puces, vide-grenier bien sûr…

– Les neo-rétro. Ce sont les nouveaux venus dans l’arène. Trop jeunes pour avoir sévi au premier round, ils font savoir à leurs ainés qu’ils sont bien décidés à inscrire, eux aussi leur nom au panthéon (donc forcément avec 3 lettres seulement, les vrais savent !). La mythologie rétro-gaming a recommencé à s’écrire, avec ses anciens et nouveaux héros qui combattent pour la même gloire.

A la Nantarena, le retro-gaming a le droit de cité (cliquez pour zoomer).

A la Nantarena, le retro-gaming a le droit de cité (cliquez pour zoomer).

Car l’une des particularités du jeu vidéo, c’est son évolution accélérée. Il est déjà passé par de nombreuses phases en 20 ou 30 ans, dans la mouvance d’un monde high-tech qui bouge en permanence. Il est aussi un témoin de l’époque et, même si cela paraît évident, il ne pouvait y avoir de retro-gaming avant qu’une première génération de gamer ne soit en âge d’être nostalgique. Entre marketing et vintage, le rétro-gaming se cherche… et se trouve

Qu’est-ce qui pousse ces geeks et geekettes à se jeter sur une GameCube, à se dépasser sur F-Zero comme si leur vie en dépendait ou à pousser des cris de bête devant une borne d’arcade old school ?

On ne va pas se mentir, le marketing joue un rôle partiel dans cet engouement. Les années 80 n’en finissent pas de revenir sur le devant de la scène : les héros d’hier comme Sonic et Mario repoussent l’âge de la retraite avec nonchalance, et se font rejoindre régulièrement par des licences liftées comme la girafe Sophie ou plus récemment les cartables Tann’s.

Heureusement, le rétro-gaming va bien au-delà de l’effet de mode marketing. En tant que Président de Beatby44, Jérôme « iZno » Maraquin nous apporte un éclairage supplémentaire sur la convivialité propre au monde du rétro-gaming : « Mon association organise des rencontres entre passionnés du versus fighting. Ces jeux d’opposition comme « Street fighter », Tekken, Soul calibur, Smash bros. opposent deux adversaires qui incarnent deux personnages. On est donc dans un format très propice à de forts échanges humains entre joueurs ». La dimension sociale est l’essence même du rétrogaming. Cette association, comme d’autres sur le territoire, anime sa communauté en organisant des événements « pour proposer un cadre dans lequel les joueurs peuvent partager leur passion et jouer côte à côte ».

Autre raison à cette popularité intacte : l’arrivée d’un enfant dans le foyer peut raviver l’étincelle qui couvait en attendant son heure. Qui n’a pas envie de regarder sa progéniture avec fierté en lui disant : « regarde bonhomme, on savait créer des jeux à cette époque ». Mais aussi : « ce score-là, c’est maman qui l’a atteint, et t’es pas prêt de le battre » (marche aussi avec « papa » bien sûr)… Dans l’association de Jérôme, la moyenne d’âge est de 27 ans. « On remarque l’arrivée dans nos événements publics comme le Stunfest à Rennes d’une nouvelle génération (…) Les papas (ou mamans) sont alors très heureux de pouvoir partager un moment avec leur enfant sur une plateforme commune (à 2 joueurs sur une console) sur des licences qu’ils ont connus (Street Fighter ou smash bros) mais qui ont évolué ». En parlant de rétro-gaming, ce qu’on voit dans le rétroviseur c’est en effet un passé récent, suffisamment proche de nous pour s’en rappeler les moindres sensations. Et comme tout ce qui a trait aux émotions ressenties à l’enfance ou à l’adolescence, il possède une forte transmissibilité.

Tu quoque mi fili !

Tu quoque mi fili !

Et on en redemande ! Car en dehors de tout effet de mode, le rétro-gaming permet à un large public de retrouver, avec un pincement de nostalgie, l’âge d’or des jeux vidéos. Basés sur des mécanismes simples, sans arcane complexe, ceux-ci récompensaient avant tout le talent, l’habileté, l’adresse, avec ce soupçon de chance qui fait l’étoffe des vrais héros. Pas d’achat ingame. Seules l’huile de coude et les ampoules aux doigts permettaient de se dépasser (et de dépasser les autres). De là à dire que le rétro-gaming est l’une des rares possibilités de remettre en avant le gameplay il n’y a qu’un pas. Les puristes reconnaissent parfois souffrir devant les sorties des œuvres d’arts ludiques qui brillent par des graphismes à couper le souffle mais oublient parfois qu’un jeu, en plus de se regarder, doit aussi se jouer !

Le futur du rétro-gaming

Dans ce milieu feutré animé par des passionnés, on se remet désormais à parler de nouveautés… Nintendo a créé la surprise en dévoilant sa Nintendo Classic Mini, une « nouvelle » console miniature qui reprend sous ses airs vintage 30 jeux NES préinstallés.

Plus populaire que jamais le rétro-gaming ? Certainement. Cet effet de mode n’échappe pas aux pionniers qui continuent de se réunir autour des jeux d’origine dans des bars à thème ou dans des salons dédiés. Car l’un des points fédérateurs du courant rétro-gaming dans son ensemble reste sa communauté active : les conseils et bons plans foisonnent en ligne ou en salons, les boutiques continuent de fournir aux accros leurs doses de jeux et de pièces de rechange.

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L’association Wazabi organise également des événements dans le 44 où le retro-gaming fait recette (cliquez pour zoomer) !

Nouvellement parachuté dans un monde de pixels, pilier historique spécialiste indétrôné de votre console de prédilection, écumeurs de bars à thème, organisateurs de festival dédié, tous peuvent désormais cohabiter en se réclamant de la même mouvance… il faut bien admettre que le rétro-gaming a atteint l’âge de raison et que le mouvement s’élargit.

Ce sont donc les joueurs d’aujourd’hui qui vont écrire le futur du rétro-gaming (vous arrivez à suivre ?). Si vous hésitez encore à vous lancer dans l’acquisition de matériel – il me faudrait un article entier pour en parler – il vous est possible de retrouver des sensations avec un émulateur, qui reproduira sur les appareils actuels le comportement d’un ancien jeu. Autre possibilité : intégrer une association : vous trouverez écoute, bonne humeur et conseils adaptés à vos envies, pour dépoussiérer le rétro-gamer qui sommeille en vous. En dehors des salons épisodiques, de plus en plus de lieux portent la bannière du jeu : rien ne vaut le local pour créer des liens… à chacun sa bonne adresse.

Chez Materiel.net, c’est le Game Over qui nous sert le plus souvent de taverne du gaming. Internet, enfin, à travers ses blogs, ses forums, est un formidable vivier social, et dans le cas présent va peut-être me permettre de retrouver des nostalgiques de l’un de mes tout premiers souvenirs de jeu (et sans doute LE déclic) : lorsque l’Amstrad CPC 664 a débarqué dans le salon familial, il a amené Fruity Frank avec lui… Dans mon cas, avant que ne résonnent les tambours de guerre, c’est bien la petite musique cristalline (ou stridente selon les avis) de ce jeu qui a marqué mon enfance. L’une des forces du rétro-gaming est bien sa capacité à raviver notre étincelle, et surtout à nous proposer, désormais bien plus facilement, de la revivre…