Censure et immaturité dans le jeu vidéo

Vous nous voyez venir avec Dead Or Alive Xtreme Beach Volley, les romances de Mass Effect et toutes ces vidéos qui ramènent du lecteur… Eh bien… OUI ! On va sans doute aborder ce sujet, mais nous allons aller plus en profondeur et voir si, là encore, le jeu vidéo n’a pas des progrès à faire.

Comme vous l’avez vu dans notre texte sur la narration, nous aimons distordre la matière jeu vidéo, poser quelques points de réflexion quitte à nous tromper (ça arrive aux meilleurs) et susciter le débat. Nous abordons ici un sujet en réalité peu sensible, car peu d’œuvres se montrent réellement subversives. Mais n’avançons pas trop vite…
Couvrez ce « Saint » que je ne saurais voir

Pas facile pour Saints Row d’exister face à GTA malgré ses qualités. Une petite dose d’outrance en croisant les doigts pour que la censure vous tombe dessus est alors la bienvenue. Nombreux sont les jeux à exploiter ce filon et compter sur un petit effet de buzz. Immanquablement, un pays s’offusque d’un vibromasseur transformé en arme ou de toute blague potache d’une grande finesse. L’opération de com’ est lancée.

Est-ce qu’il s’agit d’une véritable censure quand c’est quasiment l’effet recherché ? Nous dirions plutôt quelques effets de manche pour obtenir un 18+. Le PEGI, justement, parlons-en. A priori, nous sortons du cadre de la censure, il est normal qu’une œuvre soit restreinte à un certain public en fonction de son contenu, mais cela interroge sur le rapport aux joueurs et surtout la façon dont on les traite.

Les jeux interdits par dizaines en Chine ébranlent le géant Tencent dont le cours en bourse a perdu 30 %. Les décisions strictes et arbitraires du régulateur chinois sont la vraie définition de la censure.

You Miss PEGI

Quand les Affranchis de Scorsese sort en salle avec une interdiction aux moins de 16 ans, qui aurait l’idée d’emmener le petit Lucas, 12 ans, voir ce chef-d’œuvre ? Le petit bout de chou patientera en jouant à son équivalent vidéoludique, GTA (vous excuserez l’anachronisme, c’est pour l’exemple) puisque tous les copains de la classe en font de même. Et tant pis si le jeu est interdit au moins de 18 ans.

La seule faute des parents ? Pas vraiment, déjà parce que les mentalités évoluent et beaucoup empêchent leurs marmots de jouer à des titres qui ne sont pas de leur âge. Mais aussi parce que le PEGI se montre souvent trop strict, imposant un 18+ à des God Of War, car ils présentent une scène de nudité (très suggérée) et de la violence alors qu’un Games Of Throne n’écope que d’un accord parental souhaité sur les sites de vente et une classification 16+ en dématérialisé. Les exemples sont nombreux et démontrent que le PEGI se fait autant censeur qu’arbitre des élégances. Infantiliser ainsi le public du jeu vidéo ne fait certainement pas avancer la cause. Et au passage, pour rire : Fortnite est PEGI 12.


Devil May Cry 5 écope d’un PEGI 18 pour cause de violence et vulgarité. On apprend alors qu’un voile pudique est jeté sur des fesses alors qu’il s’agit d’un jeu pour adultes ! Une pudibonderie ridicule.

La censure pour les nuls

Nous n’allons pas nous lancer dans un best of des œuvres censurées, YouTube compte des centaines de vidéos sur ces interdictions qui, évidemment, ne font qu’éveiller la curiosité et accumuler les vues.

La page censure et jeux vidéo de sens critique s’amuse à lister ces retouches. Certaines sont grotesques, d’autres sont plus compréhensibles, mais nous sommes avant tout surpris de la façon dont les censeurs et les développeurs, quels qu’ils soient, oublient leur cible. Transformer du sang en vert, allonger une jupe, retirer un geste déplacé (doigt d’honneur et autres signes de tendresse), se comprend s’il s’agit d’une œuvre pour enfant, mais la question est de savoir comment ils sont arrivés là ? Wall-E, par exemple, évoque le désastre écologique, l’omniprésence des écrans, l’obésité due à l’inactivité, les dérives de l’intelligence artificielle sans grossièreté et sans arrêter de distraire. Les développeurs sont-ils incapables d’autant de finesse ?


Ce Dead or Alive Beach Volley est d’une nullité crasse et ne rend pas service à la cause féminine, mais puisqu’il écope d’un PEGI 18, pourquoi lui imposer des censures et ne pas le distribuer… Merci qui ?

Les temps changent et les censures en forme de retouche cosmétiques sont moins fréquentes depuis que les jeux ne sont plus perçus comme un divertissement pour enfants. Toutefois, avec un PEGI si flou et peu convaincant, on se confronte à un enthousiasme débordant de la communauté à chaque fois que des Witcher ou Mass Effect dévoilent un bout de sein dans une scène à peine plus érotique qu’un dimanche soir sur M6 (les anciens comprendront).

Toutes les associations conservatrices tombent alors sur le poil des éditeurs en oubliant au passage les 16+ et 18+ apposés sur la jaquette. Et voilà le tiercé gagnant du jeu vidéo qui se met en place : Un PEGI trop strict, un public adulte infantilisé, et des joueurs trop jeunes dont on s’offusque qu’ils mettent la main sur des titres qui ne leur sont pas destinés.

La responsabilité des éditeurs

Lorsque le fameux code Hays impose des censures strictes au cinéma américain, des géants comme Hitchcock le contournent intelligemment. Ils ne font que suggérer la violence, exploitent le hors champ et les coupes. Et lorsque les metteurs en scène retrouvent un espace de liberté, ils s’en emparent avec talent. Sam Peckinpah (La horde sauvage) – pour les anciens – ou David Fincher (Fight Club), et Nicola Winding Refn (Drive, The Neon Demon) stylisent la violence, se font étriller par les censeurs, mais laissent une œuvre marquante, réfléchie, mature.
Il y a désormais des No More Heroes, MadWorld, Hotline Miami, violents mais dotés d’une vraie vision d’auteur, pour répondre à des Manhunt et Soldier of Fortune tellement plus racoleurs et dont le parfum de scandale sentait le frelaté.

Choisir une forme qui choque est bien souvent fait à dessein : de nombreux thèmes « difficiles » peuvent être abordés sans scandale comme ici, dans « Soldat inconnu, mémoire de la Grande Guerre « 

Le jeu vidéo a donc gagné en maturité, mais on est encore loin des autres formes d’art. Pour un Soldat inconnu, mémoire de la Grande Guerre dont la fin rappelle les Sentiers de la gloire de Kubrick, A normal lost phone qui aborde la sexualité, Enterre-moi mon amour qui évoque les réfugiés ou Hellblade : Senua’s sacrifice qui dépeint des troubles psychotiques, combien de jeux font dans la facilité, accumule les raccourcis et les clichés historiques, et se préservent de tout engagement politique. Et pourquoi l’érotisme reste encore un tabou alors que des combattantes aux proportions dignes des films de Russ Meyer se retrouvent en bikini face à des hommes en armure ? Rhabillez ces pauvres demoiselles ou mettez-les totalement nues, tout comme les hommes, si à un moment le scénario le justifie !

Si la narration à des progrès à faire, le discours est aussi une faiblesse du jeu vidéo. Les consciences se sont un peu éveillées, mais plus que la censure, l’autocensure nous prive d’œuvres stimulantes pour l’esprit et la conscience politique, surtout dans les blockbusters.

Bien sûr vous trouverez des contre exemples (Bioshock, Spec Ops : The Line, NieR Automata…) et UbiSoft investit timidement ce terrain avec une Angleterre post Brexit à la dérive dans Watch Dogs, ou le suprémacisme blanc dans Far Cry, mais les occasions de réfléchir se comptent sur les doigts de la main. Pendant ce temps, rassurez-vous, vous pouvez toujours décapiter, dévorer, cisailler, découper, torturer sur (l’excellent quand même) Mortal Kombat…