Comment la gratuité pèse sur l’industrie du jeu vidéo

Les passions cristallisées par Fortnite, le succès d’Apex Legends et les annonces de licenciements dans plusieurs sociétés nous ont amenés à réfléchir sur l’impact de la gratuité sur l’industrie du jeu. Accrochez-vous, nous allons rire un peu, conjecturer beaucoup et railler passionnément !

Faisons d’abord un point sur notre rapport au titre majeur d’Epic Games : nous ne sommes ni pour, ni contre, bien au contraire ! Au mieux, nous perdons quelques secondes à nous amuser des réactions des haters qui n’ont pourtant qu’à dévier le regard pour concentrer leur énergie sur les jeux qu’ils aiment. Qu’on le veuille ou non, Fortnite est le signe d’une industrie en mutation, mais reprenons les choses dans l’ordre.

Un peu d’histoire

Le modèle économique free-to-play s’est d’abord répandu sur PC au début de ce siècle du côté de la Corée avec des jeux comme Maple Story ou FlyFF (Fly for fun). Nous ne pouvons éviter les ellipses, mais citons Second Life qui fut un phénomène de société dont la monnaie in game devait être payée en argent frais. Le modèle économique a ensuite fleuri sur des MMORPG, mais aussi des jeux de tirs, de courses ou de stratégie. En arrivant sur mobile et Facebook, les mécaniques se sont affinées sur des jeux grand public comme Candy Crush. Là encore on pense ce que l’on veut du titre, tant que les gens s’amusent…

Là encore, donc (merci d’arrêter de nous interrompre), on ne peut nier que ce titre est l’un de ceux qui ont eu une influence sur le paysage vidéoludique. La gratuité est ici pour le plus grand nombre et l’éditeur parie sur les revenus générés par quelques bons payeurs. Ces bienfaiteurs sont même affublés d’un surnom autrefois donné aux gros parieurs de Las Vegas : les baleines. Toute la question est de savoir comment les appâter.

Le jeu gratuit est une belle opportunité. Certains ici comptent des milliers de matchs sur Hearthstone, d’heures sur LOL, sans avoir jamais dépensé un centime.

Quelques Clash Royale, LOL, Counter Strike plus tard ‒ donc des titres monétisés in game mais où l’on peut jouer tout son soûl ‒ arrive Fortnite. Gratuit, fun, il s’adresse au grand nombre, a senti l’air du temps, et laisse dépenser à petite dose pour briller en société. N’y voyez aucun mépris de notre part, nous connaissons tous des fans du titre qui ne sont certainement pas moqués par les copains qui s’éclatent sur Hearthstone, Duelyst, ainsi que les titres précédemment cités. Fortnite est décomplexé, il n’effraie pas les nouveaux venus, fédère autour de sa communauté et gère sa communication avec les influenceurs, tout comme l’a fait Apex Legend dont nous n’avions quasiment jamais entendu parler avant sa sortie. Voilà un autre bouleversement qui a une résonance jusque dans la direction des ressources humaines.

Licenciement et crise…

Désormais il n’y a plus de baleines, mais des océans peuplés de gros poissons. Fornite rapporte des milliards en visant une communauté susceptible de dépenser quelques dizaines d’euros. Ce n’est pas le premier. Hearthstone, par exemple, était au moment de sa gloire la vache à lait de Blizzard et n’est pas totalement descendu de son piédestal à l’heure actuelle.

Puisque l’on parle du loup, le géant américain s’est récemment targué d’un bénéfice opérationnel de plus de 2 milliards de dollars, excusez du peu, mais a dans le même temps annoncé une vague sévère… de licenciements. Certains y voient le signe d’une santé précaire de l’industrie du jeu vidéo. Le « Je vais bien, j’embauche, je vais mal, je licencie » est une vision étriquée de l’économie. Activision voit le vent tourner avec ces FPS payants, et profite d’une année record pour investir et réévaluer sa stratégie au mépris du facteur humain. Le calcul est froid, cynique, mais ne témoigne en rien de la santé de l’industrie, pas plus que GOG qui licencie d’un côté une douzaine de personnes (10 % de ses effectifs) pour en recruter 20 autres.

Et la liste est longue : Techland écrème pour se recentrer sur Dying Light 2, ArenaNet taille aussi dans ses effectifs tout en gardant Guild Wars 2. L’argent change de mains et des individus souffrent pendant que des actionnaires se régalent, comme dans toute industrie. D’ailleurs le chiffre d’affaires du secteur, rien qu’en France, a bondi de 15 % atteignant les 4.9 milliards d’euros selon le SELL.

Solo et payant ; de l’histoire ancienne ?

Il reste hasardeux de tirer des conclusions sur le changement de modèle économique actuel et l’impact sur le jeu payant. Déjà parce qu’il faut plusieurs années pour concevoir un titre et que Fortnite ou Apex Legends sont encore frais.

Ce que l’on peut en déduire est que, pour beaucoup, la gratuité est un réflexe, voire même un dû, sur tout ce qui est de l’ordre du contenu : musique, presse, cinéma et jeux. Est-ce le même public qui achète des versions collector, collectionne des livres sur leur média favori, ne jure que par les versions boites ? Évidemment que non. Il existe un marché pour les Dead Cells, Celeste, Hollow Knight, Devil May Cry, God Of War, Darkest Dungeon, Red Dead Redemption 2, Zelda BOTH (pour ne froisser personne) et autres succès en marge des productions plus fédératrices et multijoueurs, fussent-elles payantes. Tout comme il existe un cinéma qui survit très bien en marge des productions Marvel.

Que les jeux soient davantage grand public n’est pas non plus une catastrophe, le cinéma, là encore, y arrive très bien. S’ouvrir à tous n’est pas une faiblesse, mais demande aux scénaristes et dialoguistes de se gratter un peu plus la soupière, ce qui ne serait pas du luxe dans l’industrie du jeu.

Quant au caractère économique, les loot boxes et le jeu par abonnement ont en partie fait leur temps, mieux vaut inviter pour le moment les joueurs à dépenser de leur plein gré à chaque fois qu’ils le souhaitent quitte à le faire dans du cosmétique. Tant que cela n’empiète pas sur la jouabilité, pourquoi s’en offusquer. Personne n’est obligé d’acheter !

Le jeu évolue ; qui sort encore sa guitare ou ses figurines pour s’amuser sur console ? Le free-to-play, les influenceurs, redessinent cette industrie. La 5G, le cloud, la next gen vont en faire de même.

Aujourd’hui il faut fédérer, faire évoluer ses méthodes de communication, s’ouvrir à un plus large public et aller chercher des liquidités sur le marché mobile quitte à irriter les fans de la première heure. Cela ne passera pas sans des restructurations, parfois exécutées à la guillotine comme l’a fait Activision. Le marché de l’indé en souffre, car notre temps n’est pas extensible, et les grosses productions vont continuer à faire les yeux doux aux adeptes du Battle Royale. Peu importe, une partie du public leur tournera les talons pour se concentrer sur des jeux avec davantage de narration, de stratégie ou autre. Le phénomène Battle Royale donne peut-être un léger coup de frein à la sortie d’expériences solo, RPG, stratégie ou autres. Un mal pour un bien au regard des nombreux hits sortis ces trois dernières années parce que l’on avait plus beaucoup de vie sociale ^^