La manette de jeu, en attente de renouvellement

La forme et l’ergonomie des manettes de jeu évoluent peu depuis quelques années, en raison d’impératifs marketing et de traditions qui se sont installées chez les joueurs. Les prochaines innovations viendront peut-être du monde du e-sport.

La détection du geste par une caméra ou un capteur de mouvement, l’orientation du regard, voire l’interprétation de la pensée… Dans l’industrie du jeu vidéo, bien des méthodes sont explorées pour diriger le personnage virtuel affiché à l’écran ou accomplir une action. Certains projets sont encore très expérimentaux, à l’instar des commandes cérébrales, d’autres sont arrivés à terme sans toujours convaincre sur le long cours, ce dont témoigne Kinect de Microsoft. Au milieu de toutes ces initiatives, la fameuse manette reste malgré tout vaillante, bien que son invention remonte aux temps héroïques du jeu vidéo, dans les années 70.

Parmi les qualités recherchées par les joueurs, l’ergonomie d’une manette est primordiale, quoique son appréciation soit en partie subjective : forme et taille, préhension, position des touches, etc. Dans les années 80 et 90, elle s’est améliorée sans conteste. « Les anciennes manettes sont difficiles à prendre en main aujourd’hui, confirme Hamid Bessaa, chercheur au laboratoire des usages en technologies d’information numériques (Lutin). Les manettes actuelles ont gagné en souplesse : même des personnes qui n’ont jamais joué placent leurs doigts où il le faut. » Selon Wikipedia, cette notion d’ergonomie est citée pour la première fois en 1988, au moment de la sortie de la Mega Drive de SEGA : les arrondis de la manette SEGA, assortis au creux de la main, contrastaient avec l’aspect anguleux et rectangulaire de la manette Nintendo.

Angle d’abduction, abandon de poste… Cette terminologie semble en décalage mais ce sont bel et bien les points clés, analysés dans cette vidéo, qui différencient une bonne d’une mauvaise manette.

Le confort de la prise en main n’est pas le seul facteur de changement. « L’évolution du gameplay dicte aussi l’évolution de la manette, explique Quentin Deroissart, chef de projet en marketing chez Bigben. Le joystick a par exemple fait son apparition avec la 3D. Puis Microsoft a décidé de placer le joystick gauche en haut. » C’était à l’époque de la Xbox première du nom. Ce choix a pour effet de conserver le pouce gauche aligné avec le reste de la main, la majeure partie du temps. De l’avis de beaucoup de joueurs, partisans de la Xbox ou non, cette posture est bénéfique et aurait pu inspirer la concurrence. Sauf que ce n’est pas si simple.

Caractéristique des manettes Xbox, la position haute du stick gauche est réputée plus ergonomique, tout en améliorant la précision.

« Microsoft, Nintendo et Sony ont créé des manettes avec une identité forte, constate Quentin Deroissart. Les joueurs ont pris des habitudes et ne tolèrent guère les changements. D’autre part, la forme de la manette contribue désormais à l’image de marque des fabricants. » Un certain conservatisme a fini par s’installer, malgré la parenthèse Wii de Nintendo en 2006, qui cherchait à conquérir un nouveau public. « La Wiimote était symétrique et ses boutons centrés fonctionnaient aussi bien pour les gauchers que pour les droitiers, se souvient Hamid Bessaa. Elle a beaucoup plu dans toutes les tranches d’âge car elle était facile à prendre en main et n’imposait pas une façon de faire. »

L’e-sport, moteur du changement ?

Le pavé tactile placé au dos de la PS Vita de Sony a quant à lui reçu un accueil beaucoup plus mitigé, le public visé étant plus « hardcore ». « Plus on décale le contrôle vers le petit doigt, moins il est rapide » précise Hamid Bessaa, qui plaide « pour des sticks crantés disposant d’un retour de force, afin que l’on puisse mesurer l’impact de ses actions ». Les futures bonnes idées en matière d’ergonomie seront peut-être le fruit d’une réflexion engagée en priorité sur les performances, au travers d’échanges avec des joueurs professionnels. Comme d’autres fabricants, Bigben a adopté cette démarche. « Nos designers rendent visite à des joueurs pros afin d’obtenir leur ressenti sur des prototypes, développe Quentin Deroissart. Nous avons contacté des joueurs spécialisés dans les jeux de combat, puis des joueurs de Fifa et de Call of Duty. »

Comme d’autres manettes de compet, la Wolverine de Razer est équipée de gâchettes programmables placées en dessous, de grips et d’autres subtilités dont l’objectif premier est d’améliorer les performances. L’ergonomie en tire profit.

La manette Nacon Pro Controller 2, consacrée à la PS4 et au PC, dispose ainsi de quelques innovations « validées » par l’élite vidéoludique : sticks pourvus d’une amplitude angulaire de 46° (au lieu de 38°), croix directionnelle qui peut être restreinte à quatre directions (intéressant pour les jeux de combat), sensibilité des sticks et réactivité des gâchettes réglables, lestage possible des poignées pour équilibrer les mouvements… Surtout, le stick gauche a été positionné en haut : le fabricant, bien que travaillant sous licence PlayStation, a pu prendre quelques libertés.

D’autre part, des touches programmables, situées sous la manette, peuvent reproduire les fonctions des touches d’action. « Le pouce droit n’alterne plus entre la visée et les touches d’action, comme on le fait sur PC avec la souris, observe Quentin Deroissart. C’est un axe de travail pour l’ergonomie des manettes du futur. Après tout, nos doigts sont à l’opposé du pouce. » La manette Wolverine de Razer, réservée cette fois à la Xbox One et au PC, offre la même possibilité. Verra-t-on par conséquent disparaître les boutons d’action classiques ? C’est loin d’être sûr, tant les touches « Triangle », « Croix », « A », « B », etc. ont acquis une valeur symbolique.