La retouche photo : au-delà du cliché

Par Caroline L., chef produit chez Materiel.net, fan de séries US, de BD et de fondants au chocolat. Pas de défaut officiellement répertorié jusqu’à l’arrivée d’Orcaline, son avatar sous WoW, qui a fini par révéler une tendance à faire preuve de mauvaise foi (un peu) et à râler (beaucoup).

Si la maitrise de votre appareil photo est, comme la mienne, loin d’être parfaite, vous avez déjà du vous essayer à la retouche photo. Avec plus ou moins de réussite – et de frustration. Tenté d’aller plus loin ? Pour éviter de se brûler les ailes sur l’illusion de la perfection distillée par nos magazines préférés, deux photographes professionnels nous éclairent !

1) Que celui qui n’a jamais retouché…

Je ne sais pas vous, mais je n’ai pas toujours le résultat espéré en regardant mes photos sur l’écran du PC. Persuadée d’avoir capturé parfaitement l’instant présent, j’ai perçu trop de fois dans la première réaction de ma famille (celle qui vous pardonne tout) la mention « Bien mais pas top ». Vous savez, ce regard qui, lorsque vous le suivez, vous indique le chien en train de s’oublier dans l’arrière-plan, l’horizon bancal ou la marque de transpiration sous les bras du sujet (qui en plus d’avoir tué son entourage direct a tué la photo au passage)…

Dans ces cas-là, j’envisage le recours à la retouche photo. Parfois pour palier l’impossible, parce que l’élément déclencheur est incontrôlable (comme la bave qui surgit sur la bouille de votre progéniture). D’autre fois pour réparer une erreur de composition ou de paramétrages – ça va, on m’a déjà fait le coup du manque de réflex. J’en rigole encore…

2) Bonjour, ce serait pour modifier la réalité

Je ne suis pas la seule à m’arranger avec ma conscience, manifestement. Même si peu de personnes l’avouent en public, il suffit de quelques clics sur le Web pour constater l’intérêt pour la retouche d’images… Les utilités d’une retouche esthétique peuvent être multiples :

– corriger les défauts de son appareil photo (ou de son smartphone): un problème de colorimétrie ou de focus ? Le vignettage est trop important à forte ouverture / ne l’est pas assez pour faire « so 70’s » ? Il est possible de rattraper un peu une photo. La question du changement de matériel viendra naturellement lorsque vous en aurez assez de passer plus de temps à retoucher vos photos qu’à profiter de vos vacances…

– effacer discrètement un élément accessoire – la main d’un ex, par exemple, ou belle-maman sur la photo des vacances sur la plage des Mouettes. Les tamponneurs ou cloneurs fous s’en donnent à cœur joie pour masquer un élément en utilisant le décor. Le risque ? Qu’en clonant 4 fois le même nuage, votre photo ait l’air… truquée.

– rechercher la beauté éternelle… Rajeunir de 10 ans d’un coup de clic est bien moins douloureux qu’un coup de scalpel, et la retouche permet bien d’autres miracles … La tentation est grande de se servir d’un logiciel de retouche comme d’un catalogue de chirurgie esthétique. Le risque ? Qu’on vous demande « qui c’est ? » sur votre dernière photo de vacances.

– enjoliver sa vie. Posez-vous des questions avant de vous rajouter un volant de Porsche dans la main, et prenez du recul avant de modifier votre photo en profondeur… D’autres auraient mieux fait de demander des conseils plutôt que de laisser penser qu’ils avaient visité la muraille de Chine*…

– créer une œuvre d’art… En voilà une belle vocation, de partir de sa photo et de lui donner une autre dimension, au choix : fantastique, onirique, dramatique… en la retravaillant de manière assumée à coup de pinceau virtuel.

– donner un sens à une image, raconter une histoire qui la sorte de sa neutralité. Une noble intention, mais il est beaucoup plus compliqué d’obtenir des astuces sur cette retouche artistique, car c’est un travail totalement subjectif.

3) Victimes de la mode

Sur Internet, la question n’est pas de savoir si je peux obtenir des conseils pour aller plus loin (et mieux) dans la retouche, mais lesquels sélectionner et à qui me fier ? Les tuto photo fleurissent comme autant de propositions alléchantes, mais il me manque quelques conseils.

Du côté des pros, les photos « améliorées » pullulent quel que soit votre journal préféré : des paysages aux couleurs saturées, des photos de mannequin aux mensurations improbables, des stars sur le retour au teint de bébé, et même des photos de reportage trop parfaites pour sembler réalistes. Des professionnels peu scrupuleux envahissent la rubrique des « Photoshop fail » à force d’abus ; les méfaits les plus souvent observés sont à l’initiative de détoureurs ivres (je n’ai pas d’autre explication) affublant les mannequins de doigts supplémentaires, rajoutant une troisième jambe ou enlevant au passage quelques côtes inutiles. Le citoyen lambda est parfois en droit de se demander ce qui se passe au cours de ces comités de rédaction…

Il me fallait donc des avis sérieux avant de me lancer, pour recevoir des conseils tout en nuance pour les photos réalistes, et décomplexés pour libérer la créativité qui sommeille.

4) Les conseils des pros – Pascal Nitkowski

Je suis allée toquer à la porte de Pascal Nitkowski, photographe touche-à-tout et double prix Ilford en 1999 et 2010, qui use de la retouche de manière très différente, selon qu’il l’utilise professionnellement ou dans le cadre de ses recherches personnelles.

Crédits : Pascal Nitkowski, http://nitkowski-photographie.com Traitement sur Lightroom.

Crédits : Pascal Nitkowski, http://nitkowski-photographie.com
Traitement sur Lightroom.

Temps passé à retoucher les photos : quelques heures voire une journée pour un reportage entier

Terrain de jeu : la photographie de reportage évènementiel et un travail sur des thématiques personnelles

Philosophie : Le logiciel est un outil comme un autre, jusqu’à un certain niveau de retouche. « Si je joue sur le contraste, la température de couleur, voire un peu sur le cadrage, je parle seulement « d’amélioration de l’image ». En revanche, si je transforme la texture, que j’enlève un élément (…), je « retouche ». Tout ceci a un seul but : sublimer la photo ».

Les conseils du pro :

– « Avant même l’arrivée sur l’écran de l’ordinateur, on doit vivre la prise de vue de façon passionnée, curieuse. Pour éviter de perdre votre temps à choisir tel ou tel réglage, et garder votre spontanéité, entrainez-vous avant pour ne pas tout miser sur la technique. Je me concentre avant toute chose sur mon sujet, ses gestes, ses expressions, et bien évidemment la lumière de la scène et le cadrage… »

– « Je n’ai pas d’appareil fétiche mais j’applique souvent la règle un appareil = un thème, ce qui permet d’homogénéiser mes clichés. Pour aborder un nouveau sujet avec un regard neuf, n’hésitez pas à vous mettre en difficulté avec un nouvel appareil, un nouvel objectif, acheté, emprunté…»

– « Pour le traitement d’images, j’ai la même approche. Pour entamer une nouvelle série de photos, prenez le temps de faire de la recherche sur le logiciel de retouche, en notant le processus utilisé, comme une expérience chimique. Le terme de « chercheur » convient bien : vous recherchez un style d’image qui en tout premier doit vous étonner vous-même, que vous soyez amateur ou débutant.»

– « Il est essentiel de maîtriser la technique, de connaître ses outils, mais tout ceci pour que la créativité reprenne le dessus sur le logiciel. La retouche photo est l’une des manières de typer votre travail et de lui donner votre patte. Nourrissez-vous des œuvres des autres photographes et… sortez des sentiers battus !

Crédits : Pascal Nitkowski, http://pascalnitkowski.zenfolio.com/ Une série personnelle « On the road » traitée sur Photoshop.

Crédits : Pascal Nitkowski, http://pascalnitkowski.zenfolio.com/
Une série personnelle « On the road » traitée sur Photoshop.

– « Faire une retouche peut ainsi permettre de donner un sens à une photo : le recadrage par exemple, recentre l’action sur le sujet, et permet d’enlever certains éléments annexes qui perturbent le regard. Pour la série sur les animaux en captivité, j’ai également travaillé la retouche pour la matière (le grain), et parfois je suis allé loin dans le rendu clair/obscur avec des teintes de couleur plutôt chaudes, pour donner un aspect proche du lith argentique ».

– « En prise de vue comme en retouche, il m’arrive de me tromper… L’erreur peut apporter son lot d’originalité et de bonnes surprises. Ne jetez pas en bloc ce qui apparaît au premier regard comme raté, peut-être venez-vous d’obtenir un effet réellement original que vous pourriez expérimenter ultérieurement une fois qu’il sera maitrisé. »

– « Je conseille désormais Photoshop uniquement pour faire des retouches conséquentes, comme enlever un élément gênant, faire du détourage ; c’est celui que j’utilise le plus pour mes créations personnelles. A titre professionnel, Lightroom est un excellent lecteur ; il vous permet d’étendre vos modifications à plusieurs clichés, faire du recadrage facilement, de l’amélioration très précise, et les dupliquer à d’autres images très facilement ».

– « Sur Lightroom, une fois vos recherches effectuées, vous pourrez mémoriser des filtres colorimétriques appelés présets pour réaliser très rapidement du traitement par lots, ce qui est idéal pour réaliser votre propre reportage. »

5) Les conseils des pros – Philippe Aufort

Du coup je suis également allée voir un pro-retouche, un photographe sympa et vraiment pro, qui ne rajoutera une troisième jambe à son modèle que si ça sert sa création et qui a bousculé la photographie de mode par une utilisation décomplexée de son logiciel de retouche préférée.

Temps passé à retoucher les photos : de ¼ heure à 4 ou 5 heures

Terrain de jeu : la photo éditoriale créative.

Philosophie : Le logiciel de retouche est un outil de création, pas un outil de triche. Partant du principe que la prise d’une photo est déjà une transformation en soi avec le passage de la 3D vers la 2D, Philippe, qui se définit « plus peintre que photojournaliste » s’est destiné à fabriquer de l’illusion, et l’explique facilement. « La réalité du monde qui m’entoure ne me permet pas d’obtenir le rendu visuel que je veux. La retouche fait donc partie de mon processus de travail : je visualise un projet, j’exécute des croquis basiques avec les idées d’accessoires, de modèles, d’éclairage… » En découlent le choix d’appareil, de pied, de réflecteur. Et la retouche est intégrée dès la conception du projet.

Les conseils du pro :

– « Le premier conseil est déjà de ne pas tout miser sur son logiciel de retouche même si on l’a bien en main : Photoshop doit être un complément. Il ne faut donc pas hésiter à vous corriger pendant que vous prenez vos photos. Entrainez-vous sur une scène fixe pour corriger vos défauts sans épuiser votre modèle ! »

– « Il n’existe pas de mauvais modèle, que de mauvais photographes et donc de mauvaises photos » [oui, il est sympa je vous l’avais dit]. Trouvez l’inspiration, sortez dans la rue, obligez-vous à vous positionner sur le traitement du sujet. Tout se passe dans l’œil du photographe ! Amusez-vous à prendre des clichés même si vous n’avez que votre smartphone. »

– « Entrainez-vous ! Si vous ne savez pas par où commencer, vous pouvez partir d’une photo d’un photographe que vous appréciez. Demandez-vous ce qui vous interpelle. Il n’est pas nécessaire de posséder une culture théorique pour cela, il faut analyser ses émotions : est-ce le traitement du noir et du blanc, le contraste… Essayez ensuite de prendre une photo similaire… même un simple portrait de famille est un sujet complexe, obligez-vous à vous positionner face au sujet et à vous demander comment le travailler. »

Il faut faire bouger les lignes ! Crédits : Philippe Aufort http://www.philippeaufort.com/

Il faut faire bouger les lignes !
Crédits : Philippe Aufort http://www.philippeaufort.com/

– « La photo de départ doit être de bonne qualité si vous espérez pouvoir l’exploiter. Travaillez en RAW, ceci permet lors de la prise de la photo de décupler les nuances de couleurs capturées. Ces nuances seront les garantes d’une exploitabilité considérablement accrue en post-traitement. De plus certains paramètres propres à la prise de vue resteront modifiables après-coup. »

– « Si vous débutez sur un logiciel de retouche, n’ayez pas peur d’aller sur des tutoriels au départ, cela vous évitera de galérer sur les bases : essayez de reproduire chez vous l’exemple donné. A chaque étape, prenez du recul pour vous demander quel changement de perception votre traitement vous a apporté. Il existe 50 chemins pour travailler le contraste sur un logiciel comme Photoshop, ne les apprenez pas tous, faites-vous votre propre ergonomie à force d’essais. »

– « La clarté (clarity) sur Photoshop est un élément clé, qui permet de faire ressortir certains contrastes de manière intelligente. Vous verrez vite qu’en les renforçant dans les parties sombres, vos photos prennent un aspect plus dramatique, plus dense, notamment sur les portraits. En inversant le processus, les détails de la peau sont gommés, lissés, sans flouter votre cliché pour autant. C’est l’un des filtres qui vous permet de jouer sur le grain, la texture, et de modifier la luminosité initiale de votre cliché. »

– « Le spectre des couleurs est essentiel : si la balance des blancs n’a pas été correctement réalisée au préalable, il est possible de récupérer le résultat via votre logiciel de retouche, qui inclut forcément des options correction de couleurs – généralement à base d’une pipette. Cela vous permettra d’éviter qu’une zone initialement blanche n’apparaisse jaunie par un éclairage approximatif. »

– « Cadrer, c’est déjà créer. Recadrer peut modifier en profondeur l’impact d’une photo, le tout sans manipulation forte. Si vous voulez en tester rapidement différents aspects, dans l’outil de recadrage sous Photoshop CS6 se trouve une grille des tiers qui vous permet de composer votre mise en page de manière cohérente très rapidement. Testez, tâtonnez… Un crop permet de déplacer le centre d’intérêt d’une composition très rapidement. »

– La dynamique des lignes est l’un des éléments clés en termes de composition : votre photo est organisée par des lignes qui apportent une puissance esthétique forte si elles sont bien exploitées. Commencez par vérifier que l’horizon est bien positionné, et au besoin redressez-le, notamment grâce au niveau à bulle sur Photoshop. La dynamique du corps est la base de mon travail : la fonctionnalité que j’utilise le plus est fluidité (liquify), qui permet de travailler les formes, en donnant de l’impact à l’image. Mal utilisée, elle peut conduire à modifier la courbure d’une main et de l’arrière-plan en même temps, par exemple…»

– « Méfiance sur les collages, même si le rajout a l’air simple et directement impactant : il faut être un expert pour que la manipulation ne se voie pas. Que ce soit pour le travail du cheveu ou pour les effets de vêtements en mouvement, certaines de mes photos intègrent des éléments de 4 ou 5 clichés. La photo dont vous avez rêvé se trouve parfois en plusieurs parties ! Le travail des calques en transparence est à maitriser. »

– « Retouchez toujours votre œuvre sur une copie, pas sur l’original que vous devez conserver précieusement (sur un disque dur externe pour moi, d’autres collègues préfèrent les cartes mémoire dédiées). Travaillez la retouche en PSD, sans oublier d’enregistrer en jpg haute définition. »

– « Protégez votre photo. Aucune méthode ne dégradant pas votre résultat ne vous garantira contre la reproduction par des tiers : si le RAW et le PSD sont vos éléments de travail, ne publiez que du JPEG. Sous Photoshop, vous pouvez aller dans les infos de la photo et rajouter le nom du photographe, l’url de votre site, un pictogramme pour indiquer informatiquement qui est le créateur de la photo, corriger le statut de la photo (protégée ou domaine public), afin que votre œuvre soit légitimement reconnue comme la vôtre. »

6) Décomplexée

La pratique de la retouche étant généralisée chez les professionnels de la photographie, il est rassurant de trouver de l’éthique dans leurs pratiques. Finalement, la retouche photo c’est un peu comme la chirurgie esthétique : il vaut mieux avoir la main légère, et se demander pourquoi on le fait avant de se lancer… Oser se lancer, fouiner, faire des recherches, prendre du recul sur son résultat… Il me reste encore du travail donc !

*Toute ressemblance avec une histoire réelle serait bien évidemment fortuite