La TV est morte, vive la (web)TV !

Le communiqué de Médiamétrie n’étonne guère : la dernière étude Global TV (menée d’avril à juin 2018) souligne que près de 5 millions de personnes regardent la TV chaque jour sur Internet, soit 28% de plus qu’il y a deux ans ! Une évolution logique tant en raison de la progression technologique que des changements d’habitude de consommation du média vidéo. Pour autant, cette évolution n’est pas sans poser quelques questions…

Évidemment, ces questions se posent surtout aux plus « anciens » : de fait, les nouvelles générations ne connaissent pas « la TV à papa », celle où le nombre de chaîne était limitée à moins de 10 et où replay signifiait forcément magnétoscope.
J’en vois déjà me dire qu’il s’agit d’un article suranné quand bien même je ne souscris pas du tout au « c’était mieux avant ». Mais s’interroger sur la percée de la TV par Internet, et même plus généralement de la consommation de vidéos sur le Web, devrait pourtant concerner le plus grand nombre. L’idée de cet article m’est d’ailleurs venu en entendant dans les bureaux Materiel.net « mon gamin ne regarde plus la TV et ses programmes pourris, maintenant, il regarde YouTube ». Papa moi-même, cette phrase m’a largement fait réfléchir (il n’est jamais trop tard ^^).

Reprenons le constat : nous sommes, en France, 5 millions chaque jour à regarder la TV par Internet nous dit Mediamétrie. Si une partie le fait directement sur sa TV, en direct (65%) ou via les programmes de rattrapage (les fameux replays), près de 2 millions le font sur un écran exclusivement web (ordinateur, smartphone ou tablette). Une part qui a progressé fortement donc (+28% en deux ans) et dont les principales raisons semblent logiques :

– que ce soit via le replay ou les plateformes de diffusion, les programmes TV ne sont plus cantonnés à la « petite lucarne » et peuvent donc être consultés sur diverses plateformes
– les débits Web (mobiles comme ADSL) ont suffisamment progressé pour faciliter le visionnage
– le taux d’équipement en smartphone et tablette est assez élevé pour que, dans une famille, tout le monde ait accès à un écran là où auparavant la salle TV était le seul lieu où l’on pouvait s’abreuver en vidéos

Richard Harrington. Canada. National Film Board of Canada. Photothèque. Library and Archives Canada, PA-111390 /

Mais si l’étude se concentre uniquement sur le cas de la TV par Internet, c’est toute la consommation de vidéos en ligne qui peut être mise en abîme.

Dis-moi ce que tu aimes, tu ne regarderas que ça

Le point « sociétal » majeur est le ras-le-bol des téléspectateurs à l’ancienne : entre programmes ineptes, pubs à gogo et émission sans fond (ou alors qui le touche), nombre d’entre nous ont accueilli l’explosion des vidéos sur le Web comme une révolution bienvenue. Finie l’obligation de ne pas louper le début, finies les pages de pubs au moment où le nom du meurtrier allait être dévoilé (quoique, nous y reviendrons).

En parallèle, nous avons dit bienvenue une multitude de vidéos courtes, bienvenue à de nombreuses thématiques qui n’avaient jamais droit de cité à la TV… Avec le Web, la plupart sont passés de « la TV » à « mes vidéos ».

Cela a clairement libéré la créativité et ôté nombre de carcans. Pour autant, l’ouverture d’esprit y a-t-elle gagné ? Et si je repense à la phrase de mon collègue sur les contenus consultés à l’envi par son fiston, est-ce là aussi une bonne chose ?

Rien n’y oblige mais vous êtes fortement incités à continuer de regarder des vidéos du même type sur YouTube.

Les contenus pédagogiques, culturels, artistique ou encore innovants sont bien sûr légion sur les YouTube et autres plateformes. Encore faut-il les trouver ou plus précisément, il faut déjà tomber sur des vidéos qui répondent à notre goût. Et c’est là que commence selon moi les « problèmes » amenés par ces nouvelles pratiques : qu’il s’agisse de YouTube ou d’autres plateformes, les algorithmes et sélection mis en place guident notre programme Web TV. Nous pensons choisir ? Oui mais parmi un choix plus restreint que ne l’est vraiment l’offre !

Vous regardez une vidéo Fortnite ? Nul doute que vous serez ensuite dirigés vers des vidéos du même type. Vous avez consulté quelques best of ? Attendez-vous à voir les propositions « Top 10 du machin bidule » fleurir.

Certains me diront que c’est très bien ainsi, que l’on accède à des programmes affinitaires ce qui est tout de même bien mieux que de subir la loi des jeux télévisés d’access prime time. Certes. En revanche, cela ferme aussi la porte à des fictions, documentaires et autres programmes sur lesquels nous aurions pu tomber par le hasard d’une programmation TV et qui auraient pu ouvrir un tant soit peu l’esprit. De même, certains contenus de qualité ne seront que peu exposés et donc peu vus sauf lorsqu’ils sont prescrits par une communauté, un streameur ou tout autre influenceur au sens large.

Changement de fond pas de forme ?

Ils auront toutefois la chance d’exister, ce qui n’était pas forcément le cas sur la TV classique. De ce point de vue, la TV sur Internet a clairement diversifié l’offre. En revanche, elle tend à reproduire une partie de son ancien modèle : combien de fois avez-vous pesté devant cette page de pub que vous ne pouviez zapper et qui durait aussi longtemps que le programme en lui-même ? Sans parler des pubs pendant le replay pas toujours bien placées sauf à vouloir couper une intrigue à la mâchette.

Notre nouveau « pire » ennemi

Car une chose n’a pas vraiment changé : produire des vidéos coûte du temps et de l’argent et peut en rapporter. Les médias traditionnels comme les nouveaux producteurs de contenus ont besoin des ressources publicitaires. Sauf à s’acquitter d’un abonnement sur certains services (et encore), difficile d’y échapper. Avec la montée en puissance de l’audience sur la Web TV, qui s’accompagne d’options de ciblage impossibles sur le support traditionnel, la publicité avant et pendant les web vidéos a encore de beaux jours devant elle. Et certains de reprendre leurs vieilles pratiques de couper le programme en plein climax…

Mais que l’on parle de vidéos YouTube, de streaming ou du replay des chaînes, la forte croissance de la vidéo sur Internet s’explique surtout par un changement majeur dans notre rapport aux programmes : nous sommes devenus les maîtres du temps et regardons (presque) ce que l’on veut, quand on le veut. Difficile de ne pas en voir le côté positif malgré ces quelques écueils…