Le jeu indépendant, la victoire de David contre Goliath ?

Cela fait 10 ans que le jeu indépendant s’est révélé au grand public avec des titres comme Braid, World of Goo, Limbo puis le gigantesque carton Minecraft. Il est le creuset d’où sortent toutes les idées de génie, comme certains aiment à le penser. En tout cas, il brille en ce début d’année 2018, l’occasion de revenir sur une décennie mouvementée.

Développer en marge des grands éditeurs est-il une forme de révolte ? Un pied de nez aux financiers qui nous servent toujours les mêmes licences à prix d’or ? La réalité est plus nuancée. Au siècle précédent, différents studios ont émergé, dont certains indépendants, puis se sont concentrés pour peser davantage dans une industrie générant de plus en plus de profits. Aujourd’hui les Electronic Arts, Activision-Blizzard, Ubisoft produisent en majorité des AAA dont les coûts faramineux obligent à tenir un cahier des charges, des délais, des contraintes bridant (soi-disant) la créativité.

Face à ces pachydermes, des petites souris pleines d’imagination et d’éthique nous concoctent des trésors d’ingéniosité vidéoludique… Ce n’est pas faux, mais ça reste une vision angélique du marché. Déjà, Assassin’s Creed Origins, Monster Hunter : World, Zelda BOTW prouvent que les éditeurs savent se remettre en question et donner un nouveau souffle à leurs superproductions. À l’opposé, les indépendants ne sont pas uniquement des petits artisans consciencieux. Il est difficile de mettre dans le même sac le développeur anonyme et, par exemple, un Chris Roberts dont le modeste projet indé Star Citizen a tout de même collecté pas loin de 200 millions de dollars.

Des outils et une respiration

Les indépendants tirent profit de cet engouement pour les jouabilités irréprochables, quitte à les enrober d’un design minimaliste. Into the Breach en est un bel exemple.

Le jeu vidéo est une forme d’art, c’est incontestable. Mais cela ne fait pas des indépendants un mouvement comparable à la Sécession viennoise du XIXe siècle, la Nouvelle Vague ou le bouleversement Impressionniste. Il n’y a pas de courant de pensée ni de projets communs.  Les créatifs se mettent en marge des studios, car les moyens de productions modernes sont à portée de main ; que ce soit les outils de développement (Game maker, Unity), la distribution en ligne (Steam ou Gog), le financement de projets par le biais de campagnes participatives (Kickstarter, Indiegogo), sans oublier Internet et les réseaux sociaux pour propager l’information et faire un plan marketing à moindres frais.

L’essor de ce petit artisanat est autant dû à un terrain favorable et des sociétés aux effectifs surchargés qu’à une volonté artistique propre. De plus, ces auteurs sont très souvent passés par les grands studios, ils en connaissent les rouages et les contraintes. Prendre du recul est aussi un moyen d’échapper à une industrie visiblement habituée à mettre ses « ouvriers » en situation de précarité. Et ce n’est qu’une frange de ce que l’on pourrait appeler les jeux d’auteur. Des créatifs de renommée ont tenté l’expérience comme Tim Schafer ou Peter Molyneux, d’autres y voient une liberté totale d’expression partagée lors de game jams (rencontres au cours desquelles des jeux sont développés en très peu de temps) ou dans des festivals (indieCade). En somme, un joyeux melting pot.

Pour quels résultats

Il ne suffit pas d’exploser les coûts de développement pour élaborer une merveille graphique et un trésor de poésie. Ce Ghost of a Tale créé par un Français (Lionel Gallat) marquera les esprits.

L’indépendant n’est donc pas forcément plus vertueux que son confrère inféodé à un éditeur, en revanche il travaille dans une structure moins rigide, il est plus autonome et nécessairement plus créatif, puisque c’est son seul moyen d’exister. Il en ressort des chefs-d’œuvre tels Darkest Dungeon, Faster Than Light, The Banner Saga. Des titres connaissent des succès retentissants auprès du public ; Hotline Miami, Super Meat Boy, The Binding of Isaac. Ils sont tantôt sublimes (Journey), malins (Papers, Please), font réfléchir sur l’essence même du média (The Stanley Parable). Et quitte à faire du name dropping n’oublions pas Furi, The Witness, Don’t Starve, Crypt of the NecroDancer… Mais pour ces bijoux qui bouleversent notre média, combien restent dans l’ombre.

El dorado et indiepocalypse

En ouvrant leur marché d’application aux jeux indépendants, Valve, Microsoft, Sony et Nintendo ont soutenu une production virant à l’indigestion. Une offre si foisonnante que les titres fraichement sortis ne bénéficient que de quelques heures d’exposition avant de sombrer dans l’oubli. De plus, les grands studios ont vite flairé le potentiel de ce marché et lancé des projets « artisanaux » élaborés par des équipes réduites. De quoi flouter davantage les contours de ce qu’est réellement la scène indé.

Depuis plus de 10 ans, beaucoup de jeux montrent des idées et une audace qui tire l’industrie vers le haut. Manifestement, composer avec des contraintes oblige à se surpasser.

À partir de 2013, les analystes zélés piochèrent dans leurs éléments de langage les plus catastrophistes. Ainsi on parlait de bulles spéculatives, pire, d’Indiepocalypse en référence à la crise traversée par le jeu vidéo entre 1982 et 1986 (eh oui, déjà).Nous n’en sommes pas arrivés là.

Cette scène reste protéiforme. Noyés dans un flot de sorties incessant, les meilleurs se distinguent. Ainsi l’année 2018 commence fort avec Celeste, Subnautica, Slay the Spire, Into the Breach, Ghost of a Tale. Certains projets sont portés aux nues, soutenue par la communauté et leur développement se fait sur un chemin de roses (à épines, car rien n’est aussi simple) d’autres continueront à tenir du chemin de croix. Le grand gagnant de cette histoire reste avant tout le joueur !