Quand l’art influence le jeu vidéo

Que les choses soient claires, nous n’allons pas réfléchir à la condition du jeu vidéo. C’est un art, en l’occurrence le 10e depuis que le MOMA de New York en expose quelques représentants dans sa galerie. En revanche nous allons voir comment il s’inscrit dans le paysage actuel et son éventuelle évolution.

Fichtre, se disent certains de nos lecteurs, nous voilà partis pour un cours magistral sur l’histoire de l’art. Point du tout ! L’idée de ce papier nous est venue en testant les Geforce 2080 Ti et le ray tracing. Le rendu nous a inévitablement fait penser aux hyperréalistes et aux questions que soulève ce mouvement. Mais avant de parler d’avenir, faisons un bon dans le passé.

Jeu vidéo, un art total et inspiré


Nous avons eu le plaisir de croiser en 2015 Jean-Jacques Launier, commissaire de l’exposition L’art dans le jeu vidéo. Il nous expliquait : « ce que nous célébrons ici ce n’est pas tant le jeu vidéo en lui-même, mais l’art figuratif narratif. J’espère que les visiteurs vont prendre conscience qu’ils sont là face à un travail d’artistes contemporains. Bien sûr, ils dessinent pour divertir, mais ils construisent quelques figures majeures de notre imaginaire. » Comment douter au sortir d’une exposition qui rassemblait des œuvres d’une telle qualité que le jeu vidéo s’est inspiré de toutes les formes d’art et ne cesse de rendre hommage à ses maitres.

L’un des illustrateurs emblématiques de cette industrie est sans conteste Amano, car il est intimement lié à toute la saga Final Fantasy. Depuis les premiers épisodes, alors que les limites techniques donnaient des résultats plus proches de l’abstraction que du figuratif, il laisse s’exprimer son imagination en puisant largement dans les peintures de Klimt ou de Mucha.

Deus Ex : Human Revolution fait un clin d’œil à la leçon d’anatomie du Dr Pulp de Rembrandt dans sa vidéo d’introduction. Ce genre de clins d’œil dans les jeux se compte par centaines !

D’autres ont fait plus que s’inspirer, ils ont cité leurs maitres. Ainsi Fumito Ueda n’a pas seulement tiré du nom de Georgio des Chirico son formidable Ico, il a repris ses teintes puis son architecture sur la couverture et en a parsemé le jeu. En poussant le bouchon un peu plus loin, on trouve un hommage au Sfumato théorisé par Leonard de Vinci dans son remarquable Shadow of the Colossus à l’époque de la PlayStation 2. Certes, ces décors vaporeux étaient une manière de contourner les limites de cette machine, mais les contraintes encouragent la créativité et accouchent parfois d’œuvres sublimes.

De la contrainte au choix

Depuis une dizaine d’années, les meilleurs jeux ont une apparence un peu datée, mais il n’y aura plus de décalage aussi franc qu’avec le retrogaming. À moins que le ray tracing leur fiche un coup de vieux.

Les limites techniques sont à la base de magnifiques pages de l’histoire du jeu vidéo et font la joie des retrogamers. La 2D si bien exploitée dans les années 80 est aujourd’hui, juste retour des choses, une source d’inspiration pour les artistes modernes. En revanche, à ses débuts, la 3D a causé des ravages sur certains titres qui ne maitrisaient ni les techniques de modélisation ni les cadrages. Ce sujet passionnant sert notre conclusion, mais approchons-nous pour l’instant de l’année 2010. Lors de cette décennie, les jeux ont atteint une telle richesse graphique que les plus réussis ne porteront jamais l’étiquette rétro.

Fallout a imposé sa patte rétrofuturiste et Raygun Gothic, Bioschock a envoyé une lettre d’amour à l’art déco et devint un modèle en termes d’architecture. Les moteurs modernes, tout comme les effets spéciaux au cinéma, ont libéré les créatifs. Leurs principales limites sont devenues celles de l’imagination. C’est une fois de plus l’occasion de s’inspirer de grands artistes.

Back to bed, par exemple, emprunte son univers à Dali et Escher dont les architectures improbables se retrouvent aussi dans Monument Valley ou le film Labyrinthe.

Moebius est l’un des grands artistes du 20e siècle. Il avait illustré la jaquette japonaise de Panzer dragoon sur Saturn, aujourd’hui son style s’illustre dans le très prometteur Sable.

Le très récent 11-11 Memories Retold navigue en plein impressionnisme. Là encore, on ne peut s’empêcher de penser à la façon dont Gradimir Smudja a introduit ce mouvement pictural dans la BD avec le Cabaret des muses. Et puisque l’on évoque le neuvième art, Darkest Dungeon transpire l’univers graphique de Mike Mignola, et on devine Franck Miller dans le noir et blanc d’Unfinished Swan. Des jeux deviennent même de véritables œuvres interactives comme le formidable Gorogoa. Cette effervescence entre toutes les formes d’art est exaltante, nous sommes quelque part en plein âge d’or, mais…

Prochain mouvement, l’hyperréalisme

Le ray tracing nous apporte l’hyperréalisme sur un plateau d’argent. Cet art pictural de la fin du XXe fait passer la technique avant les émotions et laisse déjà beaucoup de spectateurs sur le carreau.

Et lorsque les corps se déforment, comme à l’habitude de le faire Ron Mueck, le malaise devient palpable. On peut alors légitimement se poser la question des conséquences d’un tel niveau de réalisme dans certains jeux vidéo. Les éditeurs prennent encore davantage le risque de plonger dans l’uncanny valley à chaque fois qu’une animation faciale sera parfaitement éclairée mais manquera de naturel.

Pour l’instant, on se contente de reflets et autres ajouts cosmétiques, mais est-ce que cette nouvelle technologie n’amènera pas une période de maladresse comme ce fut le cas pour la 3D. Ne faites pas de nous de vieux réac, une fois parfaitement maitrisée, on touchera au sublime, mais la transition risque de piquer les yeux. Et surtout, imaginez un Resident Evil 7 transpirant à la fois le vrai et le terrifiant dans un casque de réalité virtuel… De nombreux débats vont être relancés, et parmi eux, la représentation de la violence dans les jeux vidéo. Chers lecteurs, préparez-vous, nous allons encore tous passer pour des psychopathes.