Smartphone : une console comme une autre ?

Ces dernières années ont vu naître un objet bien singulier : le gaming phone. Introduit avec le Razer Phone par la marque au serpent vert, le concept a vite fait des émules, et chacun y est bientôt allé de son modèle : Honor Play, Asus ROG Phone, Xiaomi Black Shark et Pocophone… Les constructeurs croient, semble-t-il, dur comme fer que le concept a de l’avenir et sont visiblement prêt à tout pour occuper le terrain en attendant que les gamers ne répondent à l’appel des sirènes du jeu nomade.

Un terminal pour les gouverner tous et dans les TER les lier

Et si le smartphone n’était pas un téléphone ? Par les temps qui courent, nous pourrions en toute bonne foi troquer cette question contre une affirmation. Non, les smartphones ne sont plus des téléphones. Ce sont des ordinateurs de poche, aussi puissants (pour certains) que polyvalents. Photo, musique, vidéo… ils nous servent aujourd’hui à tout, au point que les jeunes générations tendent à remplacer intégralement le PC par leur terminal de poche pour tout ce qui concerne la navigation web. Et nos appareils de poche sont vite devenus des compagnons de choix pour se divertir pendant une pause, dans les transports en commun ou même sur le trône.

Demandez au premier trentenaire venu : le téléphone portable (le smartphone n’étant encore que de la science-fiction à l’époque) s’est mué en appareil de jeu dès la fin des années 90 grâce à Nokia et sa version mobile du Snake. Vous deviez y guider sur un écran monochrome un serpent pour lui faire manger des fruits sans qu’il ne se morde la queue. Simple vu d’ici, un peu moins sachant que la bestiole avait une fâcheuse tendance à s’allonger au fur et à mesure de ses repas. Dans les cours d’école, d’université ou à la pause-café au bureau, la bestiole est vite devenue omniprésente.

Snake, que le début

Puis vinrent les smartphones, et avec eux de nouveaux titres qui allaient transformer une nouvelle frange de la population en gamers réguliers. Peu de temps après la sortie du premier iPhone, Doodle Jump et Angry Birds firent leur apparition. Le second notamment sera un véritable succès planétaire, qui ouvrit la voie à d’autres titres aujourd’hui incontournables. Ainsi, en 2012, Candy Crush fait son apparition, tout comme Clash of Clans. Et les gros éditeurs de regarder d’un œil gourmand cette montagne d’argent leur filer entre les doigts…

Ce qui devait arriver arriva : nos téléphones gagnant en puissance, les gros éditeurs s’engouffrèrent dans la brèche. Les portages des gloires passées firent bientôt leur apparition, tandis que d’autres studios se servirent de ce nouveau format de machine pour innover. Aujourd’hui, GTA San Andreas côtoie donc Enterre-moi, mon amour ou Downwell, et chacun peut y trouver son compte.

Royale au bar

S’il fallait encore une preuve que nos terminaux de poche ne sont plus destinés aux seuls casual gamers, outre le fait qu’il faudra nous expliquer en quoi passer 2 heures par jour à s’amuser sur Clash of Clans fait de quelqu’un un joueur plus occasionnel que le fan de MMO: l’arrivée du Battle Royale sur smartphones. Avec PUBG Mobile et Fortnite : Battle Royale, Tencent et Epic Games ont fait le pari que le mobile était une plateforme comme les autres en proposant une expérience équivalente aux versions PC et consoles, après une bonne refonte de l’interface et une louche de détails graphiques en moins.

Et ça marche ! Avec près de 13 millions de téléchargement, la version portable de PUBG n’a pas à rougir, et Fortnite affichait un chiffre d’affaire (presque) record de 100 millions de dollars générés en 90 jours sur l’App Store ! Des jeux exigeants, quoique grand public, ont donc bel et bien leur place sur smartphones. Et si tout n’est encore qu’à l’état de projet, EA aurait récemment évoqué auprès de ses actionnaires sa volonté de porter Apex Legends sur mobiles. Ne vous emballez pas : rien n’est encore officiel, et il reste à démontrer que la chose est techniquement réalisable. Les versions smartphone circulant à l’heure d’écrire ces lignes sont d’ailleurs probablement toutes destinées à véroler votre appareil. Méfiance, donc.

Martine, gameuse à la plage, à la ferme, au cirque, au boulot…

Mais voici venir la véritable raison qui nous fait considérer le smartphone comme une plateforme de jeu en puissance : le remote gaming, ou jeu à distance. De l’avis général, le futur du jeu vidéo ne saurait s’écrire sans cette technologie. Google a désormais officialisé son Stadia, Blade poursuit le déploiement de Shadow, Microsoft planche activement sur xCloud, et Sony dispose déjà d’une technologie éprouvée avec le PS Now. Il suffira donc bientôt simplement d’une manette compatible smartphones et d’une bonne connexion pour profiter de tous les titres récents dans les transports en commun. Mais toutes ces technologies ont un coût : celui de l’abonnement auquel il vous faudra souscrire pour en profiter.

Heureusement pour nous, les serveurs délocalisés ne sont pas le seul moyen de profiter d’un titre PC sur votre écran AMOLED 6 pouces. Après tout, nombre de joueurs PC ne disposent-ils pas déjà de configurations et connexions robustes au sein même de leur domicile ? Si tel est votre cas, félicitations, vous venez de décrocher un accès immédiat à l’avenir du jeu vidéo ! Cerise sur le gâteau, vous n’aurez même pas besoin d’un smartphone gamer pour en profiter : une simple connexion 4G ou WiFi suffira…

Le 14 mars dernier, Valve mettait en ligne la version beta 668 de Steam Link, introduisant avec cette version une nouvelle fonctionnalité : Steam Link Anywhere. Pour ceux qui l’ignoreraient, c’est-à-dire sans doute la majorité d’entre vous, Steam Link permet de jouer sur un PC, un smartphone ou une TV à un jeu tournant sur une autre machine du même réseau.

Cette version 668 nous dispense aujourd’hui de cette dernière contrainte. Et GTA V de tourner aussi bien dans le salon à 5 mètres de la tour que dans la cantine de la boite domiciliée 40 bornes plus loin ! Il va sans dire qu’une connexion en béton armée est recommandée des deux côtés de la chaîne pour en profiter au mieux. Malheureusement, même dans des conditions idéales, à savoir en réseau local via Ethernet pour le PC et en WiFi 5 GHz pour le smartphone, les saccades sont nombreuses, et la latence perceptible. Le produit est encore en beta, et cela se sent. Suffisant donc pour des jeux solos à 30 images par seconde n’exigeant pas de réflexes surhumains, mais pas plus.

Au clair de la lune, mon ami Pedro

Est-ce à dire qu’il est encore impossible de jouer aujourd’hui en streaming dans de bonnes conditions ? Pas tout à fait, mais pas tout à fait de manière officielle non plus. Rassurez-vous, il n’est pas ici question de piratage, loin de là ! Simplement de détournement ! Des petits malins de la Case Western Reserve University (située à Cleveland dans l’Ohio) se sont en effet amusés à utiliser la technologie Gamestream développée par NVIDIA pour la proposer ailleurs que sur la Shield, et surtout ailleurs qu’au domicile.

Résultat : tout possesseur d’une carte graphique NVIDIA compatible avec ce service peut aujourd’hui jouer à distance sur son téléphone, un autre PC, voire même un Raspberry Pi. Saluez bien bas Moonlight, une solution mise au point par des étudiants qui vient bousculer les ténors du milieu.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le niveau de qualité n’est pas tout à fait le même que chez la concurrence, du moins dans notre cas. Avec une connexion 4G stable et un réglage du débit sur 10 Mbps, nous avons pu jouer à The Witcher 3 en 1080p tous détails à fond à 60 images par seconde, avec une latence minime. En 20 Mbps, l’expérience est encore meilleure : aucun artefact à l’écran, et les rares saccades présentes lors de notre précédente tentative ont disparu. Couplez maintenant cette technologie à une manette smartphone proposant autant de boutons qu’une manette pour Xbox One, L3 et R3 compris, et vous voilà prêt à profiter de vos bibliothèques Steam, Origin ou GoG n’importe où, n’importe quand.

Les avantages de cette solution sont nombreux. Pour commencer, elle est absolument gratuite, quel que soit le support sur lequel vous souhaitez jouer. Il vous suffit de posséder chez vous un PC assez puissant pour faire tourner vos jeux et encoder le flux vidéo à la volée, ainsi bien sûr que la connexion qui va avec. Ensuite, Moonlight repose sur une technologie développée et proposée par un constructeur de GPU, qui sait donc comment exploiter au maximum son matériel. En un sens, on pourrait dire que cette solution est « plus près du métal » que ses concurrents, car elle intervient avec une couche logicielle en moins. La contrepartie bien sûr, c’est que les exigences matérielles sont plus spécifiques (a minima une GTX de la série 600) et que, Moonlight étant une application non-officielle, elle peut s’arrêter du jour au lendemain suite à une demande du fondeur ou à un arrêt des mises à jour.

Le choix désarme

Mais peu importe : même si cette application mourrait, d’autres sont déjà en train de voir le jour. Parmi les plus notables, on pourra notamment citer Rainway, qui permet d’ores et déjà de jouer sur n’importe quel support acceptant d’ouvrir un navigateur, et qui débarquera même bientôt de façon tout à fait officielle sur Xbox One ! Une application dédiée devrait voir le jour sur smartphones durant le quatrième trimestre 2019, et il est d’ores et déjà possible de lancer une partie via l’interface navigateur en passant par Brave ou Chrome. L’image passe alors en plein écran, et la manette appairée prend le relais sur l’écran tactile. Seul bémol : quoiqu’officiellement sorti, Rainway est toujours en développement et propose une qualité et une réactivité proche de celle de la solution de Valve, c’est-à-dire pas encore au niveau du Gamestream de NVIDIA.

L’interface de Rainway

Ce constat pourra toutefois ne pas être le même chez vous. Le meilleur moyen reste encore d’essayer ! Que vous soyez plutôt team AMD ou supporter de NVIDIA, le choix des solutions vous appartient et ne cesse de s’étoffer au fil des mois. La question ne sera bientôt plus de savoir si vous jouer à vos jeux PC sur smartphone, mais comment. Le plus beau dans cette affaire, c’est que les trois quarts du boulot étant fait par votre PC distant, à l’exception du décodage vidéo et de l’envoi de commandes, n’importe quel smartphone fera l’affaire ! Même les petites résolutions auront le droit de profiter de cette technologie. Les besoins en débit seront même plus faibles et donc les résultats plus stables !
Nous nous orientons aujourd’hui véritablement vers une époque où le smartphone est un PC / écran / une console comme les autres : rayez la mention inutile, ou adoptez les trois à la fois !