par Denis P., chargé de contenus et passionné des contenants. Feu CM et héraut de la cuisine (ce qui n’a strictement rien à voir), il aime toucher à tout le High-Tech sans en être un technicien. A tout de même une forte propension à perdre son temps dans les photos et jeux vidéo.
L’arrivée est quelque peu étonnante. Il faut d’abord montrer patte blanche au PC sécurité. Notre guide arrive alors et nous explique que « nous allons suivre la ligne violette au sol » pour se diriger vers la « fabrication additive »… Nous qui croyions parler impression 3D et Maker… Pas d’erreur pourtant, nous sommes bien au FabMake de Nantes, atelier de fabrication numérique à destination des professionnels, chercheurs et étudiants. Un lieu où l’approche est très concrète, entre présent et futur, autour des technologies numériques et donc l’impression 3D.
C’était il y a 2 ans. Dans le cadre d’un appel à projet étatique, l’IRT (Institut de recherches technologiques) Jules Verne de Nantes avait été sélectionné pour donner naissance au FabMake, lieu où les nouvelles technologies numériques se mettent à disposition des professionnels (entreprises, chercheurs) et des étudiants. Objectif : favoriser le passage de l’idée à l’objet et permettre aux chercheurs de prendre en main de nouvelles méthodes et outils telles que l’impression 3D, la découpe au laser et autres CAO/DAO. A l’époque, alors que nous proposions les premières imprimantes 3D de notre catalogue, l’initiative nous avait interpellé.
Deux ans après, les 380 m² et nombreuses machines du FabMake (imprimantes 3D de différents types, scanner 3D, découpeuse laser, fraiseuse…) ont accueilli 250 projets et 1500 visiteurs tandis que le parc d’imprimantes 3D a fonctionné pendant 10 374 h. Mais attention, nous sommes ici loin du discours habituel sur le mouvement des Makers et des FabLab. « Contrairement à ces structures, qui viennent du MIT, nous ne nous appuyons pas systématiquement sur la notion de communauté et sur la documentation accessible. Avec les entreprises, ce n’est pas toujours possible » nous explique Olivier Daïrien, Fabmanager ». Et de poursuivre : « la valeur de notre structure, c’est la diversité des moyens. […] La technologie du futur, c’est l’ensemble des technologies et les nouveaux modes d’utilisation associés à ces dernières (accessibilité, utilisation en phase de développement, conception itérative…). Il y a une différence entre le traitement des médias et la réalité. Attention à la retombée du soufflet ! Ce qui nous dessert, c’est la simplification. Il ne suffit pas de scanner et d’appuyer sur un bouton. Du coup, on fait parfois office d’oiseau de mauvais augure ».
Une vision erronée ?
Car si dans le grand public, le mouvement des makers peut être vu comme un contrepied à la société de consommation, dans le monde professionnel, l’accent est plutôt mis ici sur l’innovation, l’expérimentation et l’accessibilité au plus grand nombre de professionnels. Le FabMake n’est pas réservé au personnel des bureaux d’étude mais a vocation, en partie, à éviter que le manque de connaissances techniques entraine le non développement des projets.
Mais quels sont-ils ces projets que le FabMake entend aider ? « Des projets plutôt hardware et dont une des étapes consiste à des tests en phase de développement, poursuit Olivier Daïrien. Nous intervenons à différents stades. Cela peut aller de la familiarisation avec les outils jusqu’à la recherche technologique, de la formalisation à la conception, maquettage et même un peu de prototypage ». Les exemples sont aussi nombreux qu’hétérogènes, des recherches effectuées au FabMake par Airbus aux divers essais de tous horizons. « L’un de nos utilisateurs travaillant dans le secteur du BTP est ainsi venu se familiariser avec la fraiseuse pour usiner des plaques de coffrage, il avait besoin de vérifier le procédé pour pouvoir concevoir et produire la fraiseuse spécifique à son cas d’application. »
Convaincant, Olivier Daïrien illustre ses propos en nous montrant quelques-unes des dernières réalisations. Point de procédé révolutionnaire ni d’inventions, ces dernières étant confidentielles. Le présentoir montre plutôt des pièces que l’on a l’habitude de voir mais pour lesquelles l’impression 3D permet de vérifier la validité du concept, les dimensions ou encore la mise en œuvre.
Cet autre regard sur les technologies numériques va à contre-courant du traitement médiatique autour des technologies numériques et par extension autour de l’impression 3D et du mouvement marker/DIY (Do-It-Yourself). Et Olivier Daïrien de souligner que « l’impression 3D a 30 ans. Elle est aujourd’hui plus accessible, certains brevets sont tombés, les coûts ont baissé et il y a eu des progrès logiciels. Mais ce n’est pas la même qualité de procédé entre une imprimante 3D à 500€ et un modèle au tarif bien supérieur. Sans compter les compétences pour avoir un certain niveau et l’aspect chronophage. Il y a un marché mais il faut tempérer pour ne pas susciter de frustrations. Je ne suis pas certain que l’impression 3D se répandra dans les foyers d’ici 5-10 ans. La valeur réside dans le plaisir de fabriquer ».
Pour autant, la démocratisation des technologies numériques de création libère les esprits, dans le monde professionnel comme auprès du grand public. Des structures comme Plateforme C., associative et plus tournée vers les bidouilleurs et le grand public, œuvre en complément du FabMake et renforce la place de Nantes dans le secteur.
Et demain ?
Alors si le FabMake n’est pas un précurseur technologique, préfigure-t-il d’éventuelles évolutions professionnelles ? « Avec les nouveaux usages viennent de nouveaux métiers. Et le retour d’anciens. On parle ainsi de forgeur numérique ! Mais c’est surtout la complémentarité des connaissances qui risque d’être importante. Il faut être agile dans les métiers. […] L’informatique facilite les choses et c’est un terreau indispensable ». Avec ses particularités, Nantes et sa région postule ainsi à être le berceau des emplois numériques de demain.
Cette approche surprenante pour qui s’intéresse au seul prisme grand public des technologies numériques est pourtant bien ancrée dans le concret. Certes, nous sommes loin de la révolution industrielle que certains présageaient. Pour autant, l’initiative du FabMake et le discours de son manager ramène les pieds sur une Terre sans effacer ce doux rêve où les nouvelles technologies numériques nous aideront à changer nos sociétés. Une initiative qui vient en complément du mouvement plus médiatique et parfois fantasmagorique des makers. Qu’à cela ne tienne.
« Il va falloir rêver car, pour que les choses deviennent possibles, il faut d’abord les rêver » (Madeleine Chapsal).