Le projet de « Dossier médical partagé » (DMP) a été lancé il y a… 15 ans ! Les expérimentations et les rapports se sont multipliés. Il est maintenant officiellement disponible pour tous les Français depuis 2018. Mais seuls 6 millions en disposent…
La France aime lancer de grands projets qui n’aboutissent (presque) jamais. Qui se souvient encore du Plan Cable lancé sous la présidence de Francois Mitterrand en 1982 ? Aujourd’hui, on nous refait le coup avec le plan THD. Lancé au printemps 2013, le Plan France Très Haut débit vise à couvrir l’intégralité du territoire d’ici 2022, c’est-à-dire à « proposer un accès à Internet performant à l’ensemble des logements, des entreprises et des administrations, même s’ils sont isolés ». Impossible à tenir !
En matière de santé, le Dossier médical partagé ou DMP (avant 2015, on l’appelait le dossier médical personnel) est sans conteste le serpent de mer le plus emblématique. Le projet a été lancé par la loi no 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie.
Il devait être généralisé en… 2007. Mais entre les expérimentations successives, les rapports incitant à la prudence ou à la relance des tests, les changements d’organismes chargés de sa mise en œuvre et les blocages de certains « professionnels », le DMP joue aux Arlésiennes.
Une appli à revoir
On peut le créer en quelques minutes en allant sur le site DMP. Il existe aussi une application pour smartphone (iOS et Android), mais qui est loin de satisfaire ses utilisateurs, qu’ils s’agissent de particuliers ou de professionnels… Pas assez ergonomique (par exemple, il est impossible pour le patient de classer les documents qu’il importe) et trop complexe (la démarche d’authentification et de sécurité étant digne d’un roman de Kafka) sont les deux principaux griefs.
Sur le papier, c’est un projet très prometteur. Le DMP est votre carnet de santé en ligne. « Traitements, résultats d’examens, personne à prévenir en cas d’urgence, le DMP permet de retrouver au même endroit toutes vos informations de santé, et de ne pas les oublier », peut-on lire sur le site AMELI.
Grâce à ce dossier numérique confidentiel, votre médecin traitant peut plus facilement accéder à votre historique des soins des 24 derniers mois, connaître vos pathologies et allergies éventuelles, constater les traitements médicamenteux et consulter les comptes rendus d’hospitalisation. À chaque consultation d’une information par le généraliste ou le SAMU en cas d’urgence, le patient est informé par SMS ou courrier.
Depuis quelques mois, il est possible d’y ajouter ses souhaits concernant sa fin de vie et si l’on accepte ou non d’être donneur d’organes. Autant d’informations actualisées qui permettent de gagner en efficacité (finies les prises de sang à répétition car le rapport n’est pas communiqué), de réduire les doublons (et la paperasse) et donc les couts et de limiter les erreurs.
Mauvaise volonté
Mais dans les faits, le DMP est loin d’être généralisé. La France compte environ 25 millions de foyers. Mais il n’y a environ que 6 millions de Français à avoir créé leur dossier médical partagé, selon des données communiquées en juin 2019 par l’Assurance maladie.
Différentes raisons peuvent expliquer ce retard, voire ce blocage. Car il y a notamment la mauvaise volonté des médecins qui ne veulent pas s’en occuper. C’est un peu comme pour la Carte Vitale. Pourquoi, en 2019, y-t-il encore des ophtalmologistes ou d’autres spécialistes qui ne la prennent pas ? Résultat, vous êtes obligé d’envoyer par la Poste la feuille de soin que vous délivre leur secrétariat quand vous avez terminé votre rendez-vous !
Autre aberration : pourquoi les laboratoires et les centres d’imagerie n’envoient-ils pas systématiquement leurs résultats sur le DMP ? Pourquoi tous les hôpitaux ne l’utilisent-ils pas ? Tous les acteurs de la santé devraient exploiter le même système/logiciel. Cela éviterait les examens inutiles, les redondances de traitements, les vaccinations (ou les rappels) oubliées…
176 millions de dossiers de santé piratés
« Le projet doit s’inscrire dans une perspective de longue durée », précisaient les ministres de la Santé et du Budget, Roselyne Bachelot et Éric Woerth. C’était en 2007. Ils n’avaient pas tort… Le gouvernement actuel tente bien cette année de relancer la machine mais quand le DMP sera-t-il réellement utilisé ?
Mais est-ce que c’est mieux à l’étranger ? Pas vraiment. Si les pays nordiques ont mis en place un système plus ou moins semblable, son adoption a été également laborieuse et longue. En Suède par exemple, le projet a été entamé en 1994 et il n’est pas utilisé par toutes les personnes.
Au Royaume-Uni et aux États-Unis, les projets sont loin d’être aboutis et généralisés.
Et la sécurité des données ? Toutes les informations du DMP sont stockées dans un data center de Santeos. Cette filiale du groupe français Atos fait partie des hébergeurs agréés. De quoi rassurer les Français, car les données de santé sont l’une des cibles privilégiées des pirates.
Aux États-Unis, 176 millions de dossiers de santé ont été piratés entre 2010 et 2017…