La production vidéoludique actuelle est parfois accusée d’être trop routinière. Mais l’organisation désormais industrielle de ce marché de grande consommation n’encourage pas à l’innovation. C’est aussi aux gamers de récompenser l’inventivité, notamment chez les indépendants.
A la fin de l’été, les sorties de Fifa et PES, dans leur déclinaison 2020, étaient les marronniers attendus pour les fadas du ballon rond. En octobre, les amateurs des champs de bataille virtuels s’administraient leur dose d’adrénaline annuelle grâce au lancement de Call of Duty : Modern Warfare… énième épisode d’une saga commencée en 2003. Diablo quatrième du nom a quant à lui été annoncé voici quelques semaines.
Faut-il rappeler que des personnages, certes emblématiques, tels que Lara Croft ou Mario s’invitent dans nos PC et consoles de manière cyclique ? Ou signaler les multiples remakes/reboots/remasterisations (on s’y perd), façon Resident Evil ou Age of Empires, qui font du neuf – parfois très bien – avec du vieux ?
L’originalité peu en vue dans les charts
Même le gamer le plus enthousiaste pourrait légitimement être lassé par cet incessant réchauffage de plats. C’est peut-être le cas, mais alors il ne pèse pas bien lourd. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner les chiffres de ventes de l’année 2018 livrés par le Sell (Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs) : le Top 20, toutes plateformes confondues, est dominé par Fifa 19, Red Dead Redemption 2, Call of Duty : Black Ops 4, Mario Kart 8 Deluxe et ainsi de suite.
Peu de trace d’une nouvelle franchise ou propriété intellectuelle dans les grands studios, pour reprendre le jargon « business » du milieu. Red Dead Redemption sort quelque peu du lot, puisque Rockstar Games a pris quand même huit ans pour accoucher du deuxième épisode. Mais d’aucuns feront remarquer que son gameplay recycle celui de GTA – les pesanteurs comprises – et le transpose dans les vertes prairies du Far West. Il y a aussi le Death Stranding de Kojima mais son approche originale lui a valu aussi quelques retours bien négatifs.
En première analyse, l’industrie du jeu vidéo s’enferme dans un certain conformisme, donc. Mais peut-on lui reprocher d’appliquer un modèle qui fonctionne, au moins d’un point de vue économique ?
Ce serait, en fait, remettre en cause le sens même du mot « industrie », en particulier dans un medium désormais de grande consommation. L’objectif n’est pas tant de réinventer l’art à chaque projet, une entreprise qui serait noble mais périlleuse, que de produire un divertissement formaté à la rentabilité quasi-assurée.
Une inertie propre à beaucoup d’industries
Les éditeurs s’inspirent somme toute de la stratégie – souvent jugée paresseuse – que les grands studios de cinéma maîtrisent depuis un bail : ceux-ci entretiennent des marques devenues surpuissantes voire écrasantes au fil du temps (Star Wars pour ne citer qu’elle), ils réadaptent des classiques (le Docteur March, dont les quatre filles ne veulent décidément pas vieillir) pour chatouiller la nostalgie des anciens spectateurs et espérer conquérir un nouveau public, etc.
Une approche sans aucun doute conservatrice, mais qui porte ses fruits. A tel point que l’industrie du jeu vidéo a pu s’ériger comme telle, pesant l’équivalent de 4,9 milliards d’euros en France en 2018, toujours selon le Sell. On est loin du relatif artisanat des années 80/90, qui accordait peut-être plus de liberté, mais aussi moins de viabilité.
Revers de la médaille : les grands éditeurs sont devenus des organisations très structurées dont l’inertie naturelle ne favorise pas l’émergence d’idées neuves. Plusieurs milliers voire dizaines de milliers d’emplois entrent en ligne de compte, de même que le cours de l’action en Bourse. Des conditions qui n’incitent à la prise de risques…
En 2019, il y a eu du vu et du revu. Mais quelques initiatives ont permis de revisiter des genres aussi anciens que le jeu de réflexion ou le RPG.
Par analogie avec d’autres industries, l’innovation est plus souvent l’apanage des start-ups – ici la scène des studios indépendants. Nous vous en avons d’ailleurs conseillé quelques-uns « l’année dernière » (voir « Les jeux indés à mettre sous le sapin »). Pour ces petites équipes, elle est même indispensable pour gagner en visibilité dans une offre surabondante : rien qu’en France, quelque 1200 jeux étaient en cours de production en 2019 selon le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV). Et le roulement à la Une de Steam se fait de plus en plus rapide.
Salué comme l’un des casse-têtes les plus inventifs de ces dernières années, Baba is You illustre que des concepts rafraîchissants, sans l’appui de grands moyens financiers, sont toujours possibles. Certes, le titre réinterprète le principe du Sokoban, diront les esprits toujours insatisfaits.
D’autres, très bruyants, font savoir que telle mécanique de gameplay un tant soit peu originale… bah ce b’est pas du gameplay. Qu’on ne peut pas s’amuser à livrer des marchandises d’un point à l’autre dans Death Stranding – une œuvre AAA dont la proposition globale n’est pourtant pas si radicale – ceci de façon coopérative. Que c’est tellement plus « fun » de franchir la ligne d’arrivée en premier ou de survivre en dernier, face à tous les autres.
Death Stranding (prévu en 2020 sur PC) met la livraison – une action banale des open worlds – au coeur de son gameplay. Un pari assez osé pour un jeu au budget triple AAA.
Enfin, des nostalgeeks assèneront que le jeu vidéo, c’était mieux avant. Oubliant au passage que les remakes ne sont pas l’exclusivité des années 2010, ou qu’ils ont passé des heures sur les innombrables clones de Space Invaders.
Oui, les éditeurs se contentent de copier-coller des mécaniques de jeu ou des modalités, comme le Battle Royale ou le monde ouvert. On pense notamment à Ubi Soft, dont plusieurs licences-phares (Assassin’s Creed, Far Cry…) reposent sur des systèmes très semblables. Mais il y a fort à parier que si la formule change trop, beaucoup hurleraient leur désamour. C’est aussi aux gamers de récompenser l’originalité et de faire bouger un peu les lignes, en accordant leur confiance à des jeux qui sortent des chemins balisés.