Au tout début des années 90, l’ambiance était chaude dans les cours de récré entre les fans de Nintendo et ceux de Sega. Cet affrontement reproduisait à petite échelle celui qui se déroulait entre les deux fabricants japonais de jeux vidéo en Europe et aux Etats-Unis. Cette passionnante histoire est racontée dans un livre Console Wars (éditions Dey Street Books, 576 pages), disponible pour l’instant en anglais… mais compréhensible par les gamers !
Nous avons interviewé l’auteur de Console Wars, l’écrivain et réalisateur américain Blake J. Harris. Son livre nous plonge dans les coulisses de la guerre à laquelle se livraient Nintendo et Sega, à travers le parcours semé d’embûches du patron de Sega aux Etats-Unis. Dans ce pays, les deux fabricants japonais régnaient en maître dans l’univers des jeux vidéo et se battaient à coup de publicités, d’opérations marketing… et de bluff.
Q : Pourquoi y a-t-il eu une guerre des consoles ?
Blake J. Harris : A la fin des années 80, aux Etats-Unis, la console 8 bits de Sega, appelée Master System, était en situation d’échec par rapport à sa rivale de Nintendo, la NES. Arrivée en Amérique du Nord après la NES, elle n’a jamais réussi à refaire son retard.
Sega Japon décide alors de se retirer de la bataille des 8 bits et d’attaquer le marché américain sur un autre front, en arrivant cette fois-ci en premier. C’est ainsi que Sega lance la première console 16 bits en Amérique du Nord (hormis la Turbografx 16, version américaine de la Nec PC Engine Coregrafx, NDR).
La Genesis (le nom américain de la Mega Drive, ndr) sort en 1989, mais un an plus tard, Sega trouve que les résultats de la Genesis sont insuffisants. En réaction, la firme japonaise nomme un nouveau de PDG aux Etats-Unis, Tom Kalinske. Il est chargé de mettre la Genesis sur orbite et d’en vendre plus d’un million. Tom Kalinske aime prendre des risques et veut agir de manière beaucoup plus agressive… La guerre contre Nintendo est lancée.
Q : Quelle est la particularité de cette guerre ?
Blake J. Harris : Mon livre est sous-titré « Sega, Nintendo, and the Battle that Defined a Generation », car cette guerre a une importante dimension sociologique. Au début des années 90, un changement majeur s’est produit dans le domaine des loisirs, sur fond de succès grandissant de la chaîne de télé sportive ESPN et de la musique grunge. Ce qui était autrefois alternatif devenait de plus en plus « mainstream », les minorités étaient mises à l’honneur sur MTV. Les jeux vidéo commençaient à être l’activité la plus populaire chez les adolescents.
Nintendo misait sur la simplicité, tandis que Sega mettait l’accent sur l’attitude et son côté « cool ass » (dérivé de « bad ass », équivalent de « trop cool » en français, ndr). Dans ses publicités à la télé et dans les magazines, il montrait Nintendo comme n’étant définitivement pas « cool ». Aux Etats-Unis, c’était comme la politique avec les partis démocrate et républicain : une bataille symbolique entre Nintendo et Sega. Cette dernière disait même avoir été inspirée par l’élection de Bill Clinton en 1992. Les joueurs s’identifiaient à l’une ou l’autre des deux marques, dont les images s’opposaient, et créaient ainsi deux communautés.
Q : La lutte était-elle également technologique ?
Blake J. Harris : Il y a un épisode intéressant qui s’est déroulé en 1993. A ce moment-là, Nintendo publie le jeu Star Fox (appelé Star Wing en France, ndr) sur Super Nintendo, qui présente une innovation technique : la cartouche comporte une puce « Super FX » pour simuler des graphismes en 3D, chose rare à l’époque. Sega a voulu réagir à tout prix. Il va mettre en avant le « blast processing », une technologie qui équiperait ses consoles Genesis. Elle expliquerait pourquoi les jeux seraient plus rapides que ceux de la Super Nintendo et la vitesse de Sonic 2 le prouverait. Ce n’était en réalité qu’une trouvaille marketing, mais cela a marché ! Le fabricant de la Genesis en a profité pour faire une pub à la télé, qui est très connue aux Etats-Unis.
Peu à peu, Sega a transformé les jeux vidéo en un média grand public qui touchait une audience beaucoup plus large (étudiants et parents) que celle des enfants. A cette époque, il n’y avait pas Internet dans les foyers. D’un pays à un autre, les gens étaient très différents, mais ils avaient pourtant quelque chose en commun : ils jouaient aux mêmes jeux vidéo.
par Joseph Frontière