Epic Games a décidé d’attaquer en justice à Apple et Google qui ont retiré Fortnite de leurs App stores. Au-delà de cette affaire de gros sous (et de commission de 30 %), c’est l’hégémonie des deux systèmes d’exploitation, et des GAFAM en général, qui est dénoncée.
Les fans de Fortnite en sont pour leurs frais : s’ils ont téléchargé le jeu sur le smartphone, ils peuvent toujours y jouer, mais ils ne bénéficient plus des mises à jour. Quant à tous ceux qui veulent le découvrir, ils peuvent attendre et espérer que ce titre (mais aussi Battle Breakers et Infinity Blade) soit de nouveau disponible sur ces deux App Store.
Avec plus de 350 millions de joueurs enregistrés au mois de mai, Fortnite est le jeu-phénomène. Une poule aux œufs d’or pour Epic Games qui a « révolutionné » le free-to-play.
Devenu très populaire avec « Clash of Clans » notamment, ce principe avait pourtant connu quelques ratés. En avril 2015, Electronic Arts avait fermé quatre de ses titres PC en accès gratuit (Battlefield Heroes, Battlefield Play4Free, Need for Speed World and FIFA World), faute d’avoir trouvé une communauté suffisamment active.
Mais Epic Games aurait trouvé la formule magique avec ce jeu de très bonne facture et en perpétuelle évolution. De quoi rendre accro des ribambelles d’enfants, mais aussi des adultes. Résultat, le jackpot. Selon le cabinet d’analystes SuperData, son battle royale lui a rapporté 1,8 milliard de dollars de revenus ! Cependant, la méthodologie de cette filiale de Nielsen sur le business du free-to-play laisse septiques de fins connaisseurs de ce secteur.
Apple et Google dans le même panier
Au-delà de cette polémique, on peut constater qu’Epic Games s’appuie sur un business model très efficace. Évalué à plus de 17 milliards de dollars en août dernier, il s’appuie sur trois principales sources de revenus : Unreal Engine Licensing, Publishing Royalties et les jeux.
Le succès a-t-il tourné la tête des dirigeants d’Epic Games ? Sont-ils devenus trop gourmands ? En tous les cas, ils ne veulent plus reverser 30 % de commission sur les transactions à Apple et Google. Et le fondateur d’Epic Games, Tim Sweeney, d’être étonné que des services tels qu’Uber, DoorDash (commande et livraisons de restaurants) et StubHub (achats et ventes de billets de spectacles) ne soient pas soumis aux mêmes commissions d’Apple…
Le 13 août, Epic a ajouté une nouvelle fonctionnalité à Fortnite sur iOS et Android qui a mis le feu aux poudres : les joueurs pouvaient faire leurs achats de V-bucks dans l’application directement auprès d’Epic (avec une réduction de 20 %), en contournant Apple et Google.
La réaction n’a pas tardé. Apple et Google ont retiré Fortnite de leur Store. Tim Sweeney s’insurge et déclare au quotidien Washington Post que « le monopole de l’App Store iOS ne protège que les profits d’Apple, pas la sécurité des appareils ».
Histoire de ne pas être mis dans le même sac, Google a précisé : « bien qu’Android et iOS soient en concurrence pour attirer les développeurs d’applications et les utilisateurs finaux, Google et Apple utilisent des modèles commerciaux, des accords et des politiques différents pour soutenir des écosystèmes concurrents. » Google indiquait que les joueurs sous Android peuvent télécharger des applications via l’internet.
Un argument balayé d’une main par Epic qui a rappelé que « Google désavantage les logiciels téléchargeables en dehors de Google Play, par des mesures techniques et commerciales telles que des fenêtres contextuelles de sécurité effrayantes et répétitives. Les relations publiques de Google qualifient également les sources de logiciels tiers comme étant nids à virus ».
Le différend qui oppose Epic Games et Apple/Google montre à quel point l’hégémonie de ces deux systèmes d’exploitation atteint un niveau prohibitif et dangereux. Le studio n’est pas le seul à être confronté à ces commissions exorbitantes. En 2011, Amazon a dû également verser 30 % sur les achats des livres électroniques destinés à être lus sur sa liseuse.
Mais la puissance économique (254 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019) et technique (l’entreprise maitrise la personnalisation des offres et l’analyse des comportements d’achats) du site de e-commerce lui a permis de contourner ce « racket » en incitant ses clients à acheter directement ses livres électroniques sur son market.
Comment Epic Games pourrait-il s’en sortir ? Comme EA et Ubisoft, le studio de Tim Sweeney pourrait s’appuyer sur sa propre plateforme de distribution pour proposer ses titres, mais aussi pour fédérer d’autres studios indépendants et des développeurs.
Pratiques anticoncurrentielles : enquêtes et amendes
L’affaire Epic Games vs Apple/Google amène deux constats. Premièrement, la planète devient accro au smartphone (avec en moyenne 3h40 en 2019 soit +35 % depuis 2017) et aux jeux mobiles qui atteignent 56 % de part de marché. Les dépenses pour les jeux mobiles dans toutes les boutiques d’applications devraient dépasser les 100 milliards de dollars cette année.
Deuxième constat : les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) ont atteint une puissance phénoménale. À eux quatre, leur capitalisation s’élève à plus de 3650 milliards de dollars. Résultat, leurs PDG ont été convoqués par la commission de la Chambre des représentants américains chargée d’une enquête sur d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles.
Son rapport devrait être rendu prochainement. En Europe aussi, la puissance des GAFA est pointée du doigt. En mars dernier, Spotify avait attaqué Apple, à Bruxelles, pour abus de position dominante et ses tarifs « discriminatoires ».
Toujours en Europe, Google a été condamné au printemps dernier pour abus de position dominante. Résultat : une amende (1,49 milliard d’euros… à comparer aux 34,3 milliards de dollars de bénéfice d’Alphabet Inc., la maison mère de Google). Des enquêtes pour pratiques anticoncurrentielles ont également été ouvertes en Autriche et en Italie contre Amazon.
L’ombre d’un démantèlement plane au-dessus de la Silicon Valley. En 2001, 18 États américains avaient poursuivi Microsoft pour pratiques anticoncurrentielles. Le département américain de la Justice (DoJ) avait renoncé au démantèlement du numéro un mondial des logiciels.