La première partie des « Nouveaux cycles du jeu vidéo » se penchait sur la période de gestation d’un jeu vidéo avant sa sortie « officielle », c’est-à-dire les phases alpha et bêta de son développement. Elles ne sont pas les seules à faire appel aux joueurs.
Une fois le jeu paru, les mises à jour et les extensions successives sollicitent la communauté des gamers, par d’incessants et parfois fructueux allers-retours. C’est la deuxième partie de la vie trépidante d’un titre vidéoludique moderne, toujours en mouvement…
Lorsqu’il est soutenu par son éditeur, un jeu vidéo est amené à évoluer sans cesse lors de son cycle de vie. Les nouveautés apportées par une mise à jour ou une extension pimentent l’intérêt d’un titre pour les joueurs et prolongent son existence.
Pour tester et donner un avant-goût de ces changements, les éditeurs ont recours à un PTS, autrement dit Public Test Server. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un serveur secondaire consacré aux tests de ces améliorations ou extensions, distinct du serveur principal du jeu. Cet environnement de test est accessible aux joueurs, ce qui leur permet d’évaluer les modifications et de faire part de leurs remarques aux développeurs, avant leur déploiement sur le serveur principal. Là encore, les conditions d’accès peuvent varier selon le bon vouloir des éditeurs… leur communication et leur stratégie commerciale !
Selon le statut du joueur, voire ses achats précédents, il aura accès ou non en avant-première aux nouveautés disponibles sur le PTS. L’éditeur Massive Entertainment (propriété d’Ubisoft) a procédé de cette manière pour son jeu Tom Clancy’s The Division. En août 2016, il a choisi 13 joueurs pour former une « Elite Task Force » qui a rencontré les développeurs en Suède. Ces 13 apôtres de The Division ont ensuite disposé d’un accès privilégié au PTS, quatre jours avant les autres, afin de tester en premier les nouveautés de la mise à jour 1.4. Celle-ci a porté notamment sur la jouabilité et de l’équilibrage, comme le temps nécessaire pour éliminer des PNJ (personnages non jouables) et le niveau de difficulté des ennemis.
Très récemment, le PTS de The Division a servi au test d’une extension payante, appelée « Baroud d’honneur ». Le principe est le même que pour une mise à jour, à la différence que l’accès à l’extension payante sur le PTS est généralement réservé aux joueurs qui l’ont achetée ! Cette stratégie comporte un intérêt marketing indéniable, de façon virale : les premiers avis sur le PTS sont transmis en écho aux autres joueurs, ils créent une attente chez eux et parfois même, une sensation de manque ! Quant aux heureux testeurs, ils se sentent valorisés et membres à part entière d’une communauté. En marketing, on appelle cela de « l’engagement »…
Les DeaLers de Contenus (DLC)
Les extensions, comme « Baroud d’honneur », sont des DLC (downloadable content). Il s’agit de contenus, gratuits ou payants, qui sont mis à la disposition des joueurs en téléchargement. Le spectre couvert par les DLC est très large, de vidéos bonus qui expliquent certains points du scénario à l’enrichissement du jeu (cartes, skins [costumes] etc.) ; d’extensions (nouvelles missions ou nouveaux modes) jusqu’à un jeu autonome (« Freedom Cry », DLC d’Assassin Creed IV permet de se mettre dans la peau d’un esclave en lieu et place du personnage principal). Cette démarche n’est pas propre aux jeux vidéo, puisqu’on la trouve aussi dans les jeux de société et les séries TV. Ces dernières misent souvent sur les bonus et l’approfondissement du scénario que permettent les DLC.
Avant la diffusion de la deuxième saison de la série Breaking Bad, la chaîne AMC a proposé des « minisodes » en ligne. En moins de cinq minutes chacun, ces mini-épisodes mettent l’accent sur un trait particulier d’un des personnages, sur le ton de la comédie, contrairement à la série (par exemple sur Hank Schrader).
Dans les jeux de société, la problématique est différente, mais tout aussi proche des jeux vidéo. Sur fond de parodie de western, l’excellent jeu de cartes Bang ! (d’ailleurs adapté sur PC) creuse le filon de l’expansion du jeu et de son équilibre. Il dispose de quatre extensions payantes, qui ajoutent de nouveaux personnages, de nouvelles cartes et d’un nouveau mode de jeu.
Les DLC servent non seulement à maintenir l’intérêt de la communauté des joueurs et à prolonger la durée de vie d’un jeu… mais aussi celle des paiements des joueurs. C’est pourquoi les éditeurs conçoivent (et communiquent) parfois sur les DLC comme s’il s’agissait des épisodes d’une série TV. C’est la technique du « feuilleton » appliquée aux jeux vidéo ! Les extensions sont alors packagées en « season pass » payants, comme le fait Electronic Arts avec son nouveau FPS (first person shooter), Battlefield 1.
Pour 49,99 euros, le nouveau « season pass » inclut quatre extensions, une déjà parue et trois autres à venir : la première, « They Shall Not Pass », ajoute l’armée française à ce jeu qui se déroule durant la première guerre mondiale ; puis viendront « In the Name of the Tsar » avec l’armée russe ; « Turning Tides » avec des combats amphibies et enfin « Apocalypse » qui devrait mettre en scène les batailles les plus célèbres de la première guerre mondiale. Toutes ces extensions comprennent également des nouvelles armes et cartes.
Les inconvénients des DLC proviennent de la volonté de certains éditeurs à les rentabiliser… à tout prix. Parmi les dérives régulièrement pointées par les joueurs, on peut citer des jeux dont le contenu est volontairement limité ou bloqué lors de leur sortie. Il faut alors acheter des DLC pour jouer au jeu complet.
Par ailleurs, les « season pass », s’ils constituent une promesse alléchante, représentent aussi un risque pour le joueur. Leur acquisition, à un prix parfois proche de celui d’un jeu neuf, ressemble un peu à un chèque en blanc donné à l’éditeur, puisque l’on ne peut pas savoir ce que vaudront réellement les extensions futures. La portée de certains contenus payants semble pourtant limitée, notamment lorsqu’ils ne changent que des détails visuels ou des éléments de jeu à la marge. Pour les fêtes de fin d’année 2016, Capcom a mis ainsi en vente au tarif de 3,99 euros des costumes de Noël pour des personnages de Street Fighter V (paru sur PC l’an dernier)…
Ce dernier exemple relève d’un cas particulier de DLC : les micro-transactions ou micro-paiements comme en raffolent les jeux sur Facebook ou mobiles. Si des jeux comme League of Legends promettent que « vous pouvez devenir le meilleur joueur du monde sans dépenser un centime dans le jeu », d’autres s’orientent vers un modèle « pay to win ». Ce dernier permet aux joueurs d’acheter des objets (armes etc.) ou des caractéristiques supplémentaires (expérience etc.) afin de renforcer les capacités de son personnage, ce qui a une influence sur le jeu… et les autres joueurs.
Cela pose problème. Ces petites transactions risquent de modifier grandement l’intérêt et l’équité du jeu dans les MMO par exemple. Cela pourrait créer une communauté de joueurs à deux vitesses. D’un côté, des joueurs qui évoluent gratuitement, mais passent de longues heures dans le jeu et de l’autre, ceux qui progressent plus rapidement à coup d’équipements payés par micro-paiements. Cette vision manichéenne divise actuellement les gamers de Guild Wars 2…
A l’origine de ces nouveaux cycles du jeu vidéo, on retrouve la lutte contre le piratage et l’adaptation aux nouvelles formes de consommation numérique. Du point de vue des joueurs, le sentiment éprouvé est mitigé, notamment par rapport à certains DLC qui ne servent en fait qu’à débloquer un contenu présent dès l’achat du jeu. En outre, la revente de jeux vidéo est mise à mal par l’attitude de certains éditeurs qui lient leurs produits à une clé unique, utilisable seulement par le premier acheteur du jeu.
Interrogée sur le sujet par un député, la ministre de la culture, Audrey Azoulay, a récemment donné une réponse cinglante : « un particulier ne dispose pas du droit de revendre d’occasion un jeu vidéo acquis de manière dématérialisée ». Si le joueur est toujours présent dans le cycle de vie du jeu vidéo, il l’est surtout en amont. Histoire de ne pas trop nuire à l’équation économique ?
par Joseph Frontière