Lionel Gallat, aussi connu sous le nom de Seith, a marqué les esprits avec le magnifique jeu Ghost of a Tale. Nous lui avons demandé comment se passe le travail d’un indépendant après la sortie. Rencontre avec un homme passionnant.
Matblog : Maintenant que vous avez du recul sur la sortie du jeu, pensez-vous que le développement fut un chemin de roses ou un chemin de croix ?
Seith : (rire) entre les deux extrêmes. Il y a eu des moments pénibles, notamment des problèmes techniques, comme tout ce qui touche à un développement sur ordinateur. Mais au-delà des contingences habituelles, tout cela a été très gratifiant.
J’avais énormément de choses à apprendre, ça a coloré toute mon expérience. Il s’est passé plus de 5 ans entre la campagne de financement et la sortie, j’ai porté tellement de casquettes que jamais je n’ai connu de routine et je me suis toujours levé avec l’envie de continuer, d’apprendre et de mener le projet à terme. Ce fut une aventure pleine de rencontres et un apprentissage extrêmement riche.
M : Le soutien de la presse et de la communauté autour du projet vous a-t-il aidé moralement, mais aussi financièrement ?
S : Si l’on prend comme point de départ la campagne de financement, et donc le moment où je me suis mis à travailler à plein temps sur le jeu, il me restait environ 37 000 € après l’envoi des cadeaux aux contributeurs. Ce n’est pas grand-chose pour un développement, mais ça m’a suffi parce que j’étais seul.
Peu de temps après, Microsoft m’a contacté, car ils avaient suivi mon projet, et ils ont accepté de donner de l’argent. Avec Paul (Gardner) et Cyrille (Paulhaic), deux collaborateurs sans lesquels Ghost of a Tale n’aurait pas vu le jour, nous avons pu tenir jusqu’à l’accès anticipé. Cette troisième rentrée d’argent nous a ensuite redonné de l’oxygène jusqu’à la sortie du jeu. L’early access était nécessaire financièrement.
C’est un monde bien dangereux pour une si petite souris. Et il va falloir vous en sortir avec votre matière grise plus que votre force.
M : Est-ce que le 1.0 est une date importante ou juste une étape supplémentaire ?
S : C’est vrai qu’avec le dématérialisé, ce n’est plus un moment de pression. Mais quand le jeu est sorti, il y avait trop de bugs. Nous avions eu recours à une société spécialisée dans ce type de test, mais ça ne nous avait pas préparés au fait que, du jour au lendemain, des milliers de personnes allaient commencer à jouer. Ce fut brutal, et difficile.
Il nous a fallu une dizaine de jours et quelques nuits blanches pour corriger les problèmes techniques. Nous avons passé notre temps à éteindre des incendies. N’étant pas adepte de la langue de bois, j’ai fait un post où j’ai précisé que, si c’était possible, j’aurais volontiers repassé le jeu en early access.
M : Vous n’avez pas pour autant été sanctionné par les joueurs. Le bouche-à-oreille a été favorable.
S : Oui, c’est une chance. Et je vois qu’un métier comme celui de journaliste est compliqué aujourd’hui, car vous chroniquez désormais des jeux que vous recevez dans une version qui ne sera pas celle des joueurs quelques jours après la sortie. La presse anglo-saxonne n’a pas manqué de souligner les nombreux bugs, et ils ont eu raison, mais beaucoup ont été vite corrigés alors que leurs articles restent en ligne ou sur papier. C’est vrai, il aurait fallu que ces défauts soient réglés avant, mais ça reste un point sensible dont je dois tirer les leçons.
La chaine YouTube de SeithCG présente quelques essais de test d’animation. Cette charmante souris devient vite attachante.
M : Partons sur une hypothèse : est-ce qu’en tant qu’indépendant en effectif très réduit vous auriez pu refaire totalement un jeu comme, par exemple, l’équipe de No Man’s Sky ?
S : Non, mais surtout parce que je n’en aurais aucune envie. Tout ce que j’ai appris, toute l’expérience acquise ne doit pas m’inviter à réinventer sans cesse le jeu. Bien sûr, je pourrais maintenant le refaire beaucoup mieux, mais Ghost of a Tale se suffit à lui-même. Je préfère passer mon temps à préparer autre chose et mettre à profit tout ce que j’ai appris.
M : En somme, le jeu a représenté 5 ans de développement, 10 jours intenses après la sortie et quelques mois pour du support.
S : Tout à fait. Désormais c’est très routinier pour ce qui est du PC : on répond à des mails, on corrige quelques points mineurs. Nous préparons aussi la sortie sur Xbox One. Nous sommes en ce moment sur le processus de certification avec Microsoft.
M : Et vous comptez continuer dans le jeu ou revenir à votre premier métier, l’animation au cinéma ?
S : J’ai vraiment envie de rester dans l’univers du jeu. Après 20 ans à travailler en tant que mercenaire pour des studios, ce qui est une expérience incroyable, inoubliable et enrichissante dans tous les sens du terme, j’ai vraiment envie de raconter mes propres histoires, travailler sur des projets où je vais être responsable de tous mes choix.
M : Au moment où nous vous avons contacté, vous nous avez expliqué que, justement, vous passiez vos commandes sur Materiel.net. On aimerait connaitre votre configuration.
S : À l’époque, c’était assez musclé. Ma carte vidéo est une GTX 1080. J’ai 32 Go de mémoire, incontournable quand on développe, et ça m’arrive de la saturer à plus de 90 % lorsque je lance Photoshop, Maya, Unity, ZBrush et Substance Designer en même temps ! Le processeur est un i7-6800 à 3.4 GHz, je suis évidemment équipé d’un SSD et tout est à refroidissement liquide, car je voulais un silence complet.
On découvre la démarche du rat hallebardier avec le logiciel Maya.
M : Cette configuration a été montée par Materiel.net ? Comment avez-vous connu le site et avez-vous un retour à nous faire, même négatif, car c’est ainsi que l’on progresse !
S : J’ai connu le site grâce aux publicités dans le magazine Canard PC. J’ai voulu faire du sur mesure et tout s’est bien passé. J’ai peut-être un point à critiquer et je ne suis même pas sûr que ça soit lié à votre site : quand je boote mon ordinateur, je n’ai aucun texte à l’écran pour accéder au bios, j’arrive directement sur Windows. Pour l’instant je n’ai jamais eu à mettre les mains dans le cambouis, j’espère que j’y arriverai le moment venu. Mais ça ne m’inquiète pas plus que ça.