Il va y avoir de l’eSport !

Par Olivier B., spécialiste anti-fraude au sein de Materiel.net. Acteur devenu spectateur de l’eSport, passionné par la littérature de l’imaginaire, Olivier est aussi écrivain à ses heures perdues.

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L’année 2016 marque un virage et une page importante de l’histoire de l’eSport s’écrit actuellement. Mais après les fastes des derniers mois, mesurons le chemin parcouru car il n’en a pas toujours été ainsi.

On se souvient souvent avec tendresse de sa première fois. Pour moi, même si cela remonte déjà à quelques années, je m’en souviens comme si c’était hier.
C’était un samedi matin. J’allais participer à ma première LAN, la POSSOLAN, à la Possonière charmante petite bourgade de 2400 âmes à côté d’Angers. Certes, il ne s’agissait pas d’un tournoi majeur ni de l’évènement de l’année mais peu importait.

lan_possoniereLa salle des fêtes locale s’était transformée en arène de jeu. Sur des tables alignées, des PC avec des écrans CRT trônaient fièrement. La promesse était tenue : un weekend endiablé à fragger une partie de la nuit avec les copains. Au petit matin, après quelques heures de repos à même le carrelage, sous la table, les hostilités reprenaient de plus belles. Éliminés en demi-finale du winner bracket, le résultat était presque anecdotique. La seule chose qui primait au fond, était de réitérer cette incroyable expérience le plus rapidement possible. Et notre vœu fut rapidement exaucé !
Il faut dire que nous vivions là dans les prémices du développement du sport électronique ainsi nommé à l’époque. Déjà, des équipes structurées trustaient les premières places des tournois telles Tek9, eSuba, Speedlink, Dignitas (rachetée par les 76ers mais nous y reviendrons plus tard) et les LAN s’enchainaient comme nous le constations à la finale de la coupe de France à Paris, à la salle Opéra Milk Internet Hall et peu après la Gamers Assembly à Poitiers avec l’avènement de CoD 4.

Je vous dois une confidence à présent. De l’eau a depuis passé sous les ponts de la Loire. Si personnellement, j’affiche dix années de plus, l’eSport également. Mais ne dit-on pas que l’on se bonifie avec le temps ? Me concernant, je laisse juge ceux qui me connaissent mais pour l’eSport c’est une certitude ! Et le fruit de cette maturation s’observe aujourd’hui.

2016 année charnière ?

L’eSport aura mis du temps à se sortir de ses préjugés (certains demeurent encore). Mais aujourd’hui porté par des enjeux économiques colossaux, plus personne ne peut ignorer le phénomène et nombreux sont ceux qui montrent un intérêt grandissant.

Les groupes médias dans un premier temps semblent vouloir s’en emparer et ainsi croquer le fruit jusque-là défendu. Ainsi, L’Equipe 21 nous a proposé en prime time son tournoi E-Football League, TF1 organise un tournoi Hearthstone et s’est d’ores et déjà positionné pour 2017 et Canal+ lance son Canal Esport Club. Et que dire du rapprochement des deux géants outre atlantique que sont Facebook et Blizzard, permettant ainsi à tous de diffuser ses plus belles actions sur le célèbre réseau social.

Il est un autre indice qui ne trompe pas. Qu’est-ce qui poussent les clubs de foot ou les franchises NBA à investir dans l’eSport si ce n’est pas l’appât du gain ? Les exemples sont nombreux en ce moment. De l’Ajax d’Amsterdam en passant par Schalke 04 ou bien le FC Valence pour les clubs de foot ou alors Team Dignitas rachetée par l’équipe des Philadelphia 76ers ou encore Team Liquid par le copropriétaire de l’équipe de basketball des Warriors de Golden State et des Wizards de Washington.

Ca de l'eSport

Chiffre d’affaires dans l’eSport français (cliquez pour zoomer, Source)

Parts de marché de l'eSport

Audience dans l’eSport français (cliquez pour zoomer, Source)

Et en France alors ? Et bien nous ne se sommes pas en reste. Vous n’aurez sans doute pas manqué l’arrivée en fanfare des deux principaux ténors de notre championnat de football, le PSG et l’AS Monaco. Paris s’étant déjà adjugé un titre avec son joueur « DaXe » qui vient de remporter le tournoi FIFA 2017 de l’ESWC. Quant à la LFP, elle lance en partenariat avec EA Sports la e-ligue 1. (Une question demeure tout de même : à quand une équipe eSport au FCN ?)

Une structuration du secteur en marche

Certains pays reconnaissent officiellement l’eSport depuis plusieurs années déjà. C’est le cas notamment de la Corée du Sud, véritable pionner dans la matière, qui créa dès 2000 la renommée KeSPA, la Korean e-Sports Association. L’eSport en France, quant à lui, commence doucement à se structurer.
Depuis quelques années, la forte médiatisation de certaines équipes (Millenium, AAA) ou évènements (Dreamhack, Gamers Assembly) a participé à la démocratisation de l’eSport sans pour autant que les compétitions de jeux vidéo soient officiellement reconnues par les pouvoirs publics. L’audience et les revenus générés en France par le sport numérique prenant rapidement de l’ampleur, le gouvernement est désormais contraint de se pencher sur la question.

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L’avancée est arrivée en avril 2016 avec la création de la Fédération France eSport qui s’accompagne de la loi pour une République Numérique. La première pierre d’une structuration est posée. Cette nouvelle règlementation doit permettre de lever les zones de flou juridique autour de l’organisation des compétitions et du statut des joueurs professionnels. Ainsi, les équipes professionnelles seront désormais des entreprises pouvant délivrer des contrats adaptés aux joueurs. Ces derniers pourront cotiser sur leurs revenus et obtenir plus facilement des visas pour participer aux compétitions mondiales. Cette loi doit également définir les bases d’un cadre légal pour sécuriser les investissements et faire passer l’eSport d’une industrie de niche aux revenus instables à une industrie forte et pérenne (droits TV, Sponsorings, ligues, etc.).

Un des signes montrant la structuration du secteur est l’accroissement des formations liées aux jeux vidéo compétitifs. Certaines académies, comme The eSport Academy, proposent déjà des apprentissages longs afin de former les candidats aux impératifs du milieu. On vous parlait également du phénomène grandissant du coaching dans le sport numérique, qu’il soit destiné aux professionnels ou aux amateurs.

Pour le moment, aucun diplôme ne vient sanctionner ces formations. On ne parle pas d’école mais d’académie. Les professeurs et coach sont choisis au CV. Quant aux étudiants, ils savent pertinemment qu’à l’issue de leur apprentissage, seules les bonnes performances pourront leur ouvrir les portes du monde professionnel. Il est bon de garder en tête que seulement une petite centaine de joueurs français vivent aujourd’hui de l’eSport. Beaucoup de prétendants pour très peu d’élus donc même si l’émergence de métiers annexes offre d’autres débouchés (coach donc mais aussi caster, streamer et même kinés, coach sportif, etc.).

L’avenir de l’eSport en France

L’eSport évolue vite en France et il est bien loin de son passé. Les avancées de 2016 sur les plans médiatique et légal marquent le début d’un ancrage certain dans la société. Amusons-nous avec quelques hypothèses qui devraient apparaître dans l’Hexagone ces prochains mois, voire années.

Sur l’aspect business, il y a fort à parier que l’intérêt des investisseurs ne va pas faiblir. Les équipes françaises, bien portées par le sponsoring et les constructeurs, vont continuer de grandir. Quant aux médias, la demande va fortement progresser et l’eSport s’invitera encore plus régulièrement sur nos chaines télé pour diffuser des compétitions officielles. Des chaînes 100% eSport comme Ginx.tv, seulement en anglais pour le moment, apparaissent même sur des offres bouquet des FAI français.

Sur le plan sociétal, la médiatisation exacerbée de l’eSport devrait créer un phénomène de starification des joueurs. Comme pour le football, il ne sera pas rare de voir les meilleurs joueurs dans des émissions, des magazines spécialisés voire même sur le dos d’un fan dans la rue. Si on regarde du côté de l’Espagne, une émission de téléréalité a même été lancée dans laquelle des joueurs de LoL sont enfermés avec leur coach dans une Gaming House. Sans aller dans cet extrême, l’eSport devrait gagner en reconnaissance de la part du grand public. De là à ce qu’il soit perçu comme ayant un impact positif sur les jeunes générations, rien n’est moins sûr.

Le cybercafé CCBOOT en Corée du Sud

Le cybercafé CCBOOT en Corée du Sud

Afin de maintenir son développement, l’industrie française du eSport ne devra pas non plus occulter le monde des amateurs. Si la Corée du Sud est aujourd’hui très présente dans l’univers du eSport c’est parce qu’elle a su dès le début offrir la possibilité à des millions de coréens de jouer dans de bonnes conditions (le pays fourmille de cybercafés modernes, pas chers et dotés d’excellentes connexions internet).

La fédération France E-sport va donc devoir trouver un équilibre entre le monde professionnel et amateur pour que l’un ne se développe pas sans l’autre. Et très souvent, le monde professionnel a besoin d’un solide socle d’amateurs pour bien se porter car ils sont à la fois la principale audience, les principaux pourvoyeurs de revenus pour les constructeurs ainsi que le principal vivier de talents pour les joueurs pros de demain.