Séries, cinéma, musique se consomment déjà en illimité par abonnement. Apple, Google, Microsoft tentent d’inviter le jeu vidéo sur ce terrain. Si le succès continue de se faire attendre, comme nous l’avions vu il y a quelques mois, le principe est toujours bel et bien d’actualité. Et mérite que l’on se pose quelques questions.
Terriblement optimistes, nous voyions dans l’abonnement et le cloud gaming une façon d’accéder à des catalogues qui nous étaient inaccessibles. Puis nous avons songé à la douloureuse. Bonjour l’angoisse ! Attention, certains prix ci-dessous sont facultatifs :p :
– Service de musique en ligne : 10 €
– Vidéos à la demande : 11 €
– Bouquet TV : 15 €
– PlayStation Now : 15 €
– Stadia : 15 €
Tarifs auxquels il faut évidemment ajouter le FAI et le mobile pour ne parler que de loisirs numériques.
Soit bien souvent une centaine d’euros et plus de 1000 € sur l’année. Bien sûr, vous pouvez pinailler et zapper l’abonnement TV, les jeux mobiles, remplacer le PlayStation Now par le Xbox Game Pass ou Geforce Now. On peut aussi ajouter un abonnement à Shadow (33 € par mois en plus de l’achat des jeux) et la salle de sport (40 € environ) pour brûler les calories accumulées sur le canapé avec tous ces loisirs sédentaires. On franchit alors la barre des 2000 € par an. Aucun doute, il va falloir faire des choix. Mais choisir, c’est mourir un peu.
Comment récupérer des abonnés
Nous allons contourner quelques principes journalistiques et passer au « je », celui de votre serviteur, pour l’exemple.
L’abonnement est une corne d’abondance qui ne va pas sans quelques frustrations. Choisir c’est renoncer, et lorsque je lance une série sur Netflix, je pense à toutes celles que je dois encore regarder, celles qui arrivent, tout ce temps à passer alors que je suis aussi joueur, lecteur et tout cela sur un temps libre limité. Une frustration qui se transforme en fidélisation. Pourquoi se désabonner ? Ce n’est pas excessivement cher (surtout lorsqu’on partage son abonnement, mais chuuuut), j’ai encore au moins 1000 épisodes à regarder, la qualité n’est pas celle du Blu-ray, mais peu m’importe et puis c’est simple et pratique.
Les moissons de jeux récoltés durant les soldes sur Steam sont aussi, quelque part, une forme d’abondance et une frustration. 300 titres dans ma ludothèque, 70 % d’inachevés, en lancer un est parfois vécu comme un abandon de tous les autres. Offrez-moi du all-inclusive et c’est le « nervousse breakdône », comme le disent les Tontons flingueurs. Une frustration qui cette fois se traduit en rejet du principe l’abonnement. Je veux être sélectif et exigeant sur le rendu. Deux loisirs, deux façons différentes de consommer. Mais tout le monde ne fonctionne pas ainsi et le gaming par abonnement peut se révéler extrêmement séduisant.
Abonnez-vous, utilisez peu
Dans l’industrie musicale, les sites de streaming jouent sur un paradoxe. Ils doivent vous garder captifs, mais ils n’ont pas intérêt à ce que vous écoutiez trop de musique, car à chaque morceau lancé, des droits d’auteur sont reversés. En sera-t-il de même dans le jeu ?
Les ténors de l’industrie affirment que leur plateforme ouvre des perspectives à des milliards de joueurs. Ce n’est pas vrai. Elles ouvrent des perspectives à des milliards d’abonnements potentiels en espérant qu’il y ait parmi eux beaucoup d’occasionnels afin de ne pas trop faire tourner les serveurs et consommer d’énergie. En fait, ils visent ce qu’on appelle en jargon marketing le hors captif.
Bien sûr les « gamers » ne seront pas exclus, mais ils seront les plus difficiles à convaincre, et ça se sent dans vos commentaires. « Ah les noobs qui vont se précipiter sur Stadia » se disent déjà les joueurs avisés. Pour certains, leur abonnement Spotify ne sert qu’à faire tourner en boucle une playlist d’une trentaine de CD. N’aurait-il pas mieux valu investir ces 120 € à l’année dans des disques, quitte à tirer un trait sur l’illusion du choix et de l’illimité. Et pourquoi restent-ils abonnés ? Parce que c’est simple et pratique. Voilà à quoi se résument certaines formes d’art aujourd’hui : être « simple et pratique ». Mais est-ce si grave ?
À qui s’adresse l’abonnement ?
Lorsque les maisons de disque nous vendent une quinzaine d’euros un boitier cristal et un livret quasi vide, le consommateur se sent lésé. Le vinyle revient alors comme un boomerang pour retrouver soi-disant, « l’inénarrable chaleur du son ». Si le son était la seule motivation, les acheteurs se concentreraient sur un convertisseur analogique et du format sans perte. Le retour aux bonnes vieilles galettes est avant tout dû à l’attirance pour ce qui est beau, palpable.
Dans le domaine du jeu, ce sentiment est également très présent. L’édition collector, dématérialisée ou non, attire. Les consommateurs avisés se jetteront sur ces produits de choix pour les « bonus » qu’ils confèrent, visuels ou au-delà. En revanche, ces mêmes « joueurs éclairés » sont peut-être (on dit bien peut-être) de piètres mélomanes. Des « hors captifs » qui se feront un plaisir de mettre 10 € dans un abonnement pour du stream musical, surtout s’ils peuvent partager la charge financière avec un ami.
C’est pour cela que l’abonnement est inéluctable, tout comme le streaming avec l’arrivée du très haut débit. Les moins hardcore gamers d’entre nous auront tout autant de plaisir à s’acquitter de quelques dizaines d’euros par mois pour jouer à quelques dizaines de minutes à un jeu puis à un autre, etc.
Sans aucun doute, viendra un temps où l’abonnement gaming séduira plus largement. Et si un éditeur arrive à proposer un catalogue séduisant à un prix raisonnable et dont le cout de l’abonnement peut être supporté à plusieurs… À bon entendeur…