À quelques jours de la sortie de Doom Eternal, revenons sur un studio à qui l’on doit l’expansion du FPS, du multijoueur, des outils de création laissés aux mains de la communauté, du compétitif, de modèles économiques innovants… Rien que ça ! Une bonne partie de ce qui fait le succès des jeux modernes est en effet parti d’Id Software.
L’histoire commence dans les années 80, au sein du studio Softdisk, où le développement de titres tels que Dangerous Dave et Commander Keen (celui de 1990) rapprochent quelques passionnés qui deviendront des figures emblématiques du jeu vidéo. Citons d’abord John Romero, game designer un brin mégalo, mais ô combien talentueux et John Carmack, développeur de génie dont la langue maternelle est le code informatique et qui est capable de voir davantage de poésie dans un algorithme que dans un vers de Shakespeare ! Aidés de Tom Hall, lui aussi game designer et Adrian Carmack, l’artiste de la bande, ils créent ID software en 1991.
John Carmack peaufine des moteurs d’abord sur Hovertank 3D puis sur Catacomb 3-D et présente avec ses confrères en 1992 ce qui sera le premier gros succès de la société : Wolfenstein 3D. L’année suivant, Id met une claque à toute l’industrie vidéo ludique, à la fois pour la violence et pour sa parfaite maitrise technique : le formidable Doom était né.
À la tartine de gore s’ajoute des effets de lumières, des ombres dynamiques, des textures remarquables affichées avec une fluidité saisissante. Le titre est une telle prouesse qu’il inspire de nombreux clones que l’on appellera des Doomlikes. Il est aussi l’un des pionniers du multijoueur en réseau local, et laisse l’opportunité aux bidouilleurs de créer leurs propres niveaux, ces fameux .wad dont certains restent inoubliables.
Vous en voulez encore ? ID Software innove sur le mode de distribution. Livré en Shareware, le premier épisode est gratuit, et les autres payants. En 1994, 140 000 exemplaires sont achetés, pour un chiffre d’affaires de 7.7 millions de dollars dont 85 % retombent dans la poche d’ID software qui aura eu la bonne idée de se dispenser des intermédiaires entre producteur et consommateur. Elle était belle l’époque où Steam, Apple, Google et autres ne cachetonnaient pas 30 % des revenus juste pour être présent sur un store !
En 8 minutes, 30 ans de progrès technologique et l’évolution d’une société qui a largement influencé toute l’industrie du jeu. La version survitaminée du Doom 2016 a encore beaucoup apporté au genre.
De la 3D aux jeux compétitifs
Toujours en 1994 sort Doom II. Le jeu s’inscrit définitivement en tant que phénomène culturel malgré les controverses qui l’entourent. Les deux titres partagent le même moteur, à savoir l’ID tech 1 (ou Doom engine) qui sera utilisé sous licence dans quelques hits tels que Heretic ou Hexen.
À la fin 1995, Id empoche près de 16 millions de revenus, mais le génie Carmack a déjà la tête ailleurs et développe un vrai moteur 3D. Le FPS devient un genre majeur dans les années 90 et d’autres sociétés apportent leur pierre à l’édifice, notamment Duke Nukem 3D sorti en janvier 1996, mais tous vont prendre un sacré coup de vieux quand Id Software lâche un autre pavé dans la marre ; Quake.
Le rendu 3D et le game design sont époustouflants, mais c’est aussi la simplicité du mode multijoueur qui fédère une communauté de plus en plus active. Au fil des années elle mettra au point des mods tels que Rocket Arena, Team Fortress, Capture de flag : en somme, une bonne partie de la grammaire des jeux multi telles que nous la connaissons aujourd’hui. Toutefois des dissensions apparaissent dans l’équipe. Tom Hall a déjà plié bagage pour rejoindre 3D Realm après des désaccords avec John Carmack, et c’est au tour de John Romero de mettre les voiles pour travailler sur énormément de projets et notamment l’un des plus gros échecs de l’histoire du jeu vidéo, Daikatana !
Le moteur de Quake II, un jeu donc sorti en 1997, ici magnifié par le Ray Tracing. Vous trouverez la série Quake sur GOG, et elles se jouent encore très bien aujourd’hui.
À l’instar de Doom II, Quake 2 est une suite logique, certes de bonne facture, mais qui doit cette fois se confronter à une concurrence plus aguerrie et qui a notamment la bonne idée de mettre un scénario et une narration dans ses jeux. C’était déjà le cas avec Dark Forces en 1995, et sa suite Jedi Knight sorti en 1997, et nous sommes à la veille du grand bouleversement Half Life.
En 1999, la sortie de Quake III arena reste un événement mais doit affronter l’excellent Unreal Tournament. Les deux jeux sont toutefois soutenus par une communauté qui a aujourd’hui fait florès, les joueurs compétitifs.
Le virage du XXIe siècle
Cinq ans sont nécessaires pour accouche du monstrueux Doom 3 (2004) avec un John Carmack réalisant encore des prouesses techniques sur le moteur id Tech 4. Il implémente notamment le Carmack’s Reverse, un algorithme de gestion de la lumière et des ombres. Le jeu est une fois de plus une claque visuelle, la campagne solo est stressante au possible mais Doom 3 délaisse le multijoueur et se montre répétitif dans ses phases de gameplay. Le succès est au rendez-vous même si le statut d’œuvre culte semble loin derrière.
Il faut ensuite attendre 2011 après le rachat de Zenimax en 2009 pour voir arriver un peu de sang neuf dans une nouvelle licence. Rage transpire le savoir-faire d’Id Software avec une direction artistique irréprochable, un arsenal touffu, d’excellentes sensations pour varier l’art de l’éviscération, et enfin un rythme soutenu dans une campagne linéaire mise en avant face à un multijoueur sympa, mais anecdotique.
Enfin nous en arrivons au Doom de 2016 ; une perle sur le plan technique et la jouabilité. Un fast FPS survolté dont l’idée clé du Glory Kill (obligation de tuer les monstres au corps à corps pour récupérer des munitions et des kits de soin) met au joueur une pression que l’on n’avait pas connue depuis… le premier Doom ! On sent encore la patte de John Carmack dans le moteur Id Tech 6 mais celui-ci a quitté la société en 2013 pour tenter l’aventure Oculus. Plus aucun membre fondateur n’est présent dans l’équipe.
On pourrait mettre l’insuccès d’un Rage 2, feignant et rapidement expédié, sur l’absence des piliers d’une société qui a tant apporté aux jeux vidéo. Ce serait sans compter sur la frénésie que nous promet Doom Eternal. La relève est là. Les années « innovation » sont loin derrière, mais Id peut se vanter d’avoir créé ou renforcé quatre piliers du jeux vidéo moderne : les moteurs graphiques parfaitement optimisés, le multijoueur, le jeu compétitif et les mods.
Eternal semble apporter ce qui manquait au premier reboot, des environnements variés et un scénario plus étoffé.