Le ministère de l’Intérieur a récemment approuvé une nouvelle signalétique. Cette concurrence au PEGI a été mise en place par David Libeau, un game designer indépendant. Encore des nouvelles étiquettes sur nos boites de jeux ? Que nenni, en revanche, une mise au point et beaucoup de questions en suspens sur cette industrie.
Un nouveau chien de garde ?
David Libeau n’a aucunement l’intention de concurrencer PEGI. En revanche, il voit dans un flou juridique l’occasion de revenir sur une classification qui ne fait que survoler la complexité de notre offre vidéoludique puis d’étendre le débat à d’autres points de crispation. Pour appuyer ses propos, il a réalisé le documentaire « Niveaux suivants » dans lequel il revient avec différents intervenants sur les phénomènes d’addiction, les pratiques commerciales et marketing douteuses, l’incapacité à encadrer légalement la vente de jeux et la collecte de données.
Si le reportage n’évite pas une certaine dramatisation et quelques raccourcis, il a au moins l’avantage de poser de bonnes questions. Mais d’abord une remise en contexte.
Au-delà du ton sensationnaliste, le reportage pose de bonnes questions sur l’industrie du jeu et met en lumière des travers surprenant pour une industrie aujourd’hui si conséquente.
Le jeu vidéo et l’âge de raison
Nous l’avions déjà évoqué dans notre article sur la censure, le jeu vidéo est un média adolescent. Lui trouver une certaine juvénilité n’est pas dénigrant. N’oublions pas que Rimbaud a écrit le Bateau ivre, et Evarist Gallois révolutionnait les maths avant d’avoir 20 ans ! Nous sommes simplement face à un média émergeant capable d’œuvres superbes, mais aussi de jouer les candides lorsque la communauté ou les pouvoirs politiques lui tombent dessus pour des pratiques douteuses.
« Ah bon ? les loot boxes sont des jeux d’argent », « ah mince, ce n’est pas bien les principes d’incitation agressifs pour garder les joueurs captifs ? ». Des phrases (métaphoriquement) lancées par des studios dont les sections communication et finance, pour le coup très matures, connaissent les principes d’optimisation fiscale (hello Rockstar) et savent combien rapportent les jeux de hasard (coucou le mode FUT de FIFA)…
Nous faisons ici quelques raccourcis aussi grossiers que volontaires, car c’est l’un des points soulevés par le reportage de David Libeau. Le jeu vidéo n’entraine que des débats passionnés où s’affrontent la plupart du temps les enthousiastes et les détracteurs. Quid du recul et de la modération ? Sommes-nous tous adolescents lorsqu’on parle de jeu vidéo ?
David Libeau a rencontré les deux créateurs d’Undropdanslamare, une chaîne d’analyse du jeu vidéo qui a vocation, en effet, à lancer des pavés dans la mare et donner matière à réfléchir.
Quid de cette nouvelle classification ?
Que les choses soient claires, il y a très peu de chance que cette classification soit un jour utilisée par un éditeur, ce n’était pas le but. Analysons tout de même les pictogrammes dévoilés sur le site officiel.
Outre les indispensables indications d’âge, David Libeau a tenté de codifier le contenu. On trouve ainsi Sang, Armes à feu, Drogue, Sexe, Grossièretés, Peur : autant d’éléments qui peuvent plus simplement être résumés par un moins de 12 ou 16.
D’autres indications sont plus floues telles que Répétivité, Cadeaux aléatoires, Achats en jeu. Les cadeaux sont-ils payants ? Les achats englobent-ils les DLC ? Et quel jeu n’inclut pas une forme dé répétitivité. On sent aussi les bonnes intentions derrière Discrimination, mais là encore l’alerte est bancale ; contre qui ? Est-ce que le jeu soutien ou condamne ? Et puis cela implique que la société chargée d’apposer cette nomenclature fasse le jeu en entier.
Pour l’anecdote, sachez que « La petite maison dans la prairie » est interdit aux moins de 18 ans en Finlande simplement parce que le comité de censure ne pouvait facturer le visionnage des 200 épisodes. Ils ont donc appliqué le principe de précaution.
Il y a la fois un problème de fond et de forme dans ces classifications, et cela ne doit pas faire oublier le point principal : la responsabilité de l’acheteur. Offrir un jeu implique de connaître sa cible et s’il y a un doute, en discuter avec l’enfant et transiger. Est-ce que l’on achèterait Massacre à la tronçonneuse au petit Kevin, 8 ans ? La discussion et la compréhension autour du jeu vidéo sont importantes, et David Libeau aborde aussi le sujet sous d’autres formes.
Le jeu vidéo rend dingue…
Même si le regard sur les joueurs et sur cette industrie a changé, il n’est pas rare de voir ressortir les clichés sur l’addiction et cette jeunesse soi-disant désœuvrée qui ne voit pas plus loin que le bout de son moniteur. Le rapport de l’OMS évoquant cette pathologie est évidemment brocardé dans ce reportage qui établit plus clairement les limites entre l’engagement psychologique dangereux et la passion. Toutefois, cette étude met (maladroitement) le sujet en lumière et permet d’établir des protocoles de prise en charge ou de prévention. Elle permet aussi d’entamer un dialogue avec l’industrie du jeu. Et c’est là que le bât blesse, car il n’y a pas, visiblement, une réponse concrète de la part des professionnels, ou en tout cas pas assez de mise en garde. Lobbyisme ou laxisme ?
PEGI 18 ? Pour quoi faire ?
Le reportage pointe un système PEGI autorégulé pour le plus grand plaisir des éditeurs qui ne voient pas leurs ventes baisser lorsqu’on leur flanque un PEGI 18. Ils courent même parfois après cette pastille qui colle au jeu l’étiquette de la subversion. Force est de constater que le « interdit aux moins de 16 ou 18 ans » est un épouvantail pour les producteurs de cinéma, mais une médaille dans l’industrie du jeu. Plus que du lobbyisme comme aurait tendance à le laisser penser le reportage, n’avons-nous pas plutôt affaire à un système de classification qui n’intéresse pas grand monde et des éditeurs qui tirent tranquillement profit de la situation. On peut alors se demander si le rôle du législateur est de se cantonner à coller un « bien », « pas bien » sur les jaquettes pour se dédouaner du contenu.
Hellblade, mis en illustration pour cet article, est l’exemple frappant d’un jeu formidable (vivement le 2 !), mais qui pourrait être traumatisant pour un public non préparé à cette expérience psychotique.
Que doit décider le législateur ?
Le reportage souligne le sujet sensible des loot boxes fustigés par la communauté quand Star Wars Battlefront II en est devenu le bouc émissaire. Pourtant, certains de ces « râleurs » dépensent beaucoup sur des FIFA FUT, Pokemon GO, Fortnite ou autres. « Et dire qu’il suffirait que les gens arrêtent d’acheter pour que ça ne se vende pas » disait Coluche… Mais alors où est la limite entre des mécaniques commerciales douteuses et des micropaiements tranquillement avalés par la communauté ? Est-ce simplement une question de pay-to-win ?
À ce sujet David Libeau a interrogé Maitre Wiliam O’Rorke qui, en plus d’un éclaircissement sur le PEGI, a donné un point de vue intéressant. Déjà il remet quelques points sur les i. Apposer un 7+ sur un jeu qui proposerait un contenu violent ou à caractère sexuel emmènerait les responsables devant les tribunaux. Surtout, il met en lumière la jeunesse du jeu vidéo, et explique qu’il ne faut pas réguler avant que le problème se présente. Il faut selon lui se montrer patient et réagir puis sanctionner quand une dérive est constatée pour éviter qu’elle ne se reproduise. En la matière, la Belgique s’est montrée efficace en assimilant les loot boxes aux jeux de hasard.
Alors qu’EA s’est senti obligé de faire amende honorable et appuyer lourdement sur l’absence de loot boxes dans son prochain Squadron, beaucoup s’intéressent désormais à la collecte des métadonnées, au profilage pour proposer des items personnalisés, aux techniques de rétention sur les jeux services ; en somme au marketing agressif qui ne vise plus seulement à mettre le pied dans la porte, mais à défoncer l’entrée au bulldozer. Il y a décidément des domaines sur lesquels les éditeurs de jeux savent toujours se montrer très créatifs !