L’informatique quantique a le potentiel de résoudre des problèmes que les ordinateurs classiques ne peuvent pas traiter. C’est ce qu’on appelle la « suprématie quantique ». Mais pour le directeur de l’informatique quantique d’Intel, il reste encore beaucoup de chemin avant qu’elle ne fasse quelque chose d’unique qui pourra changer nos vies.
L’informatique quantique fait partie de ces buzz words, comme la Blockchain et l’Intelligence artificielle, qui excitent les imaginations, attirent les fonds d’investissement et créent aussi beaucoup de fantasmes.
Selon un rapport du cabinet d’analystes McKinsey & Partners, le marché de l’informatique quantique pourrait atteindre 1 000 milliards de dollars d’ici 2035. Un business très juteux. Mais c’est aussi un enjeu stratégique de souveraineté et de sécurité. C’est pourquoi de nombreux États ont adopté des stratégies nationales de R&D, avec des programmes de financement allant de 140 millions à 1 milliard d’euros.
Les géants américains (Google, Microsoft, IBM…) et chinois (Alibaba et Baidu), font figure de pionniers avec des initiatives menées en interne ou en partenariat avec la recherche publique (Chine). Et les annonces se multiplient.
La guerre des titans
Grâce à l’ordinateur quantique D-Wave 2X, la Nasa et Google seraient parvenus en 2019 à atteindre des vitesses de calcul 100 millions de fois plus rapides que les ordinateurs classiques. Et aussitôt, Google avait affirmé avoir atteint ce que les spécialistes appellent « la suprématie quantique ».
Théorisée en 2012 par John Preskill, professeur au California Institute of Technology (Caltech), elle désigne ce cap franchi par un ordinateur désormais capable d’exécuter des tâches ingérables pour une machine classique.
Beaucoup d’experts ont tempéré l’annonce de Google. IBM a de son côté affirmait qu’il avait découvert un algorithme classique capable d’effectuer, sur une machine tout aussi classique, un calcul similaire à celui de la machine de Google…
Mais au-delà de ces annonces et de cette guerre des communiqués entre géants informatiques et États, il ne faut pas oublier que cela reste de l’informatique, avec tout ce que cela comporte comme contraintes.
Des qubits difficiles à maitriser
Dans l’informatique classique, un bit est un élément d’information unique qui peut exister dans deux états : 1 ou 0. L’informatique quantique utilise des bits quantiques, ou « qubits » qui peuvent stocker beaucoup plus d’informations que seulement 1 ou 0, car ils peuvent exister dans plus d’un état à la fois.
Et en matière de qubits, tout n’est pas figé. La preuve, Intel semble avoir déplacé son attention vers des qubits de spin en silicium et non plus vers des qubits supraconducteurs.
Selon Jim Clarke (dans une interview accordée à IEEE Spectrum), le directeur de l’informatique quantique chez Intel, « les qubits de spin en silicium ressemblent exactement à un transistor. Or, nous savons comment les fabriquer. Certes, ce n’est pas la technologie d’informatique quantique la plus avancée qui existe, mais la perspective de développer un ordinateur quantique devient beaucoup plus claire ».
-273 degrés Celsius
Mais, quelle que soit la technologie, les qubits sont tous difficiles à maitriser. « Le défi est que le silicium, même un monocristal, n’est pas toujours aussi « propre » que nous en avons besoin. Certains des défauts peuvent avoir un impact sur cet électron unique que nous étudions », rappelle Jim Clarke. Le fondeur constate deux autres défis à relever : optimiser les interconnexions entre les électrons et améliorer les corrections des erreurs.
Reste l’épineux problème de la température. Les qubits peuvent exister dans plusieurs états simultanément. Ils sont donc capables d’effectuer un grand nombre de calculs en même temps. Seul bémol, des centaines de fils de connexion doivent être tendus dans et en dehors du réfrigérateur cryogénique dans lequel les températures sont plus froides que dans l’espace profond (-273 degrés Celsius ou 0 kelvin).
Intel a donc travaillé avec l’université de Delft sur un certain type de matériau [appelé MOS silicium, « Metal-Oxide-Semiconductor field effect transistors »), qui est un peu différent de la plupart des matériaux étudiés par les autres spécialistes de l’informatique quantique, mais qui est très similaire aux matériaux des transistors actuels.
Selon Intel, il permet de faire fonctionner le système à une température légèrement plus élevée. Des tests concluants ont permis de concevoir des qubits opérationnels à 1,1 Kelvin, soit une température 15 fois plus chaude que les technologies concurrentes.
Autre défi : le contrôle des qubits, qui est très difficile. Là aussi, Intel tente de trouver une solution en développant une puce de contrôle personnalisée qui se trouve à l’intérieur de ces fameux réfrigérateurs.
Intel, en partenariat avec l’Université de Delft et l’Organisation néerlandaise pour la recherche scientifique appliquée (TNO), fabrique cette puce baptisée « Horse Ridge » à l’aide de sa technologie FinFET 22 nm à faible puissance (22FFL), une solution largement éprouvée.
Avec Horse Ridge, Intel simplifie l’électronique de contrôle nécessaire au fonctionnement d’un système quantique. Selon l’industriel, le remplacement des instruments encombrants par un système sur puce (SoC) hautement intégré simplifiera la conception du système, devrait améliorer les performances en qubits et permettre au système de s’adapter efficacement à des nombres de qubits plus importants.
« Ce que nous essayons de faire avec les qubits moins « froids » et avec la puce Horse Ridge, c’est de nous mettre sur la voie qui nous mènera à un ordinateur quantique utile, c’est-à-dire qui changera notre vie. C’est ce que nous appellerons la praticabilité quantique », espère Jim Clarke.