Google a fait couler tellement d’encre à la GDC que le prix du jeu de l’année décerné à God of War (encore !) a failli passer inaperçu. Nous y trouvons une belle occasion de parler de narration après avoir abordé l’univers musical du jeu vidéo et l’approche artistique globale. Comment ça on adore le jeu vidéo sous toutes ses coutures…
Et si une princesse avait envie de se faire réviser la tuyauterie mais qu’un indésirable l’enlevait avant la visite du plombier ? Non ce n’est pas le Peach, pardon, le pitch d’un film X, mais le résultat d’un brainstorming chez Nintendo. Sont-ce (oui… sont-ce) de mauvais jeux pour autant ?
C’est un beau roman, c’est une belle histoire…
Tout d’abord dissocions scénario et narration.
Darkest Dungeon, Subnautica ‒ et des milliers d’autres titres ‒ délivrent quelques informations en début et fin de jeu, peu ou prou de récit entre ces deux extrémités, et il n’y a aucune raison de s’en offusquer. Un Civilization dont la stratégie est agrémentée des œuvres complètes de l’Histoire pour les nuls ne tente non plus pas de nous emporter dans un exposé linéaire et construit. La cohérence de ces jeux tient dans leur univers, la façon dont les joueurs s’en emparent et créent leur dramaturgie. Oui, un peu comme nous le faisions enfant avec les Legos, mais un brin plus cher en coûts de développement !
Nous aurions pu ainsi égrainer des jeux de plateformes, de stratégie, des roguelike, et même citer Fortnite (le gros mot est lâché) ou Minecraft dont la narration apparait dans l’imaginaire des joueurs sensibles à leurs charmes. Pour une partie de cette industrie, le scénario se retire donc au profit de ressorts dramatiques issus de la jouabilité et du game design, concentrons-nous désormais sur ceux qui nous prennent par la main et nous racontent une histoire, tels des Pères Castor 2.0.
C’est une romance, d’aujourd’hui
Un projet narratif, quel qu’il soit, commence par une idée et des écrits. Le cinéma ajoute la force de l’image, des cadrages, mais reste dans la linéarité. Le jeu vidéo apporte l’interactivité ainsi que la liberté et là, c’est le drame (pas toujours, mais avouez que le climat est soudain plus tendu).
Le choix d’insérer des scènes cinématiques pose des enjeux et élabore une construction psychologique du personnage au risque de se vautrer dans la plus totale incohérence. Notre chère Lara Croft, par exemple, charmante ingénue dans le reboot de Tomb Raider, se montre vite particulièrement douée dans l’assassinat, et ce sans aucun état d’âme. Vous la sentez la bonne grosse dissonance ?
Pour certains jeux, l’histoire est un socle sur laquelle s’érige toute l’expérience. Des pépites comme The Walking Dead, Life is Strange, Detroit en nous impliquant dans des scénarii bien plus linéaires qu’ils en ont l’air, n’arrivent pas à empêcher quelques moments d’ennuis susceptibles de nous faire décrocher. « Comment faire autrement lorsqu’on s’étale sur plusieurs heures ? » Nous direz-vous. Et d’ajouter, « nous ne sommes pas au cinéma ! ». Alors d’une, on n’aime pas trop être interrompus, et de deux, vous voulez qu’on se lance dans un name dropping de séries qui tiennent le spectateur en haleine bien au-delà de la dizaine d’heures ?
Attendez, nous n’avons pas encore abordé tous les thèmes qui fâchent ! Faisons un tour du côté de la mise en scène. Que dire de ces moments où, sous couvert d’une discussion à choix multiple, l’interlocuteur s’immobilise devant vous, les bras ballants. L’échange se fait alors dans une suite de champs-contrechamps dignes de Max Pécas. Serait-ce trop demander d’avoir par exemple du mouvement, un cadrage, un temps limité (car la vie ne se met jamais en pause), comme dans un Bandersnatch ? Même Mass Effect nous rappelle que certains codes ont à peine évolué depuis l’Arche du capitaine Blood. Et nous évoquons là un jeu dont le scénario reste accrocheur et mature quand beaucoup entassent les clichés et des défauts d’écritures capables de rendre certaines scènes carrément malaisantes.
Les progrès en matière de graphismes ont aussi une incidence sur l’aspect narratif. Le jeu d’acteur passe au premier plan, dans les intonations comme dans les mouvements du visage. La physionomie des personnages d’un Metro Exodus semble archaïque à côté du travail remarquable effectué sur les décors, l’ambiance et ce que raconte cet environnement visuel d’une grande richesse.
Et comment ne pas aborder le problème de ces récits qui s’étirent à l’infini ? Le jeu service (dont l’expérience est prolongé par l’ajout de contenus) nous garde captif jusqu’à la boulimie. Les joueurs finissent par zapper les dialogues pour ne retenir que la mission à suivre, souvent indiquée par un chemin balisé, au mépris d’une quête principale dont ils ne verront jamais le mot FIN.
Certains pleurent des larmes de sang devant leur écran et ne vont pas tarder à nous incendier dans les commentaires. STOP ! Attendez encore un peu. Déjà, nous adorons les titres précédemment cités et nous les avons choisis parce que, justement, ils font plus ou moins consensus. De plus, nous ne parlons QUE de narration sur un média où d’autres sensations prévalent (au hasard, la jouabilité !). Gratter le verni a toutefois permis de mettre l’accent sur quelques points : dissonance due à une jouabilité en décalage avec le discours, longueur excessive (comme si la qualité se jugeait au poids), lourdeur de la mise en scène, écriture bancale et perte de rythme.
Le AAA condamné à l’indigence narrative ?
Évidemment que non ! Beaucoup de titres gardent une cohérence du début à la fin, même dans un genre aussi codé que le FPS. Un Spec Ops : The line, par exemple, transpire le désespoir dans le scénario, le game design et la psychologie des personnages. Une sorte d’Apocalypse Now jouable. Seulement le jeu ne dépasse pas les 7h, dixit notre compteur Steam. Dans le même genre, nous pourrions citer Max Payne 3, Dead Space…
On vous laisse faire la liste et revenons à God Of War tant il fait l’unanimité. Bien sûr on peut lui trouver des défauts, mais il atteint une cohérence narrative et visuelle rarement égalée. Ce long plan-séquence dilue subtilement ces phases de dialogue bien écrites, et ne laisse aucune place au hasard dans les cadrages. Peu de textes, peu de PNJ, tout est maitrisé d’un bout à l’autre de la chaine, l’empathie est totale. Mais cette qualité narrative à un prix : temps de jeu limité et linéarité.
Le monde ouvert nous oblige-t-il à composer avec ces nombreux PNJ incohérents, sa narration brisée, sa longueur susceptible de nous faire décrocher ? Un Witcher 3 nous démontre le contraire, mais malgré ses notes parfaites (et méritées), il reste une marge de progression énorme du côté de la narration et de nouveaux codes à inventer. Tant mieux, nous allons encore être surpris…